Comité Anti-Amiante Jussieu: les plaintes (12/03/05)

PREMIERES MISES EN EXAMEN A JUSSIEU

Jussieu joue un rôle particulier dans l’affaire de l’amiante non seulement parce que c’est le plus grand bâtiment floqué à l’amiante au monde, mais aussi parce que les risques y sont connus et dénoncés depuis 1975, sans que les mesures de protection nécessaires ne soient prises.

Pire, les mesures ont été maintes fois annoncées, mais jamais mises en œuvre.

Le Comité Anti-Amiante Jussieu s’est créé en 1994, dès qu’ont été connus les premiers cas de maladies liées à l’amiante parmi les personnels travaillant sur le site. Des plaintes avec constitution de partie civile ont été déposées en 1996 et 1997.

Huit années après, les premières mises en examen pour mise en danger d’autrui viennent de tomber. Il s’agit des premiers résultats tangibles d’une instruction qui a été longue à démarrer, mais devrait s’accélérer dans les mois qui viennent.

Les plaintes

Deux plaintes ont été déposées en 1996 et 1997.

En 1996 une plainte pour blessures involontaires et non assistance à personne en danger a été déposée par le Comité Anti-Amiante Jussieu et deux personnes atteintes de maladies professionnelles liées à l’amiante. Par la suite une quarantaine de victimes et familles de victimes se sont associées à cette plainte, ainsi que deux sections syndicales.

En 1997 une seconde plainte a été déposée par le Comité Anti-Amiante Jussieu et 80 personnes travaillant sur le campus Jussieu. Cette fois il s’agissait d’une plainte pour mise en danger d’autrui concernant les risques liés à la présence d’amiante et au non-respect de la réglementation en matière de sécurité incendie. Dans un bâtiment accueillant 40 000 étudiants, il n’y avait pas de système d’alarme alors que la tenue au feu du bâtiment était de seulement 10 minutes au lieu des 1h30 réglementaires !

L’instruction de ces plaintes a piétiné jusqu’en 2002. Entre 1996 et 2002, trois juges d’instruction du pôle financier - Edith Boizette, Philippe Courroye et Michèle Vaubaillon- se sont succédé avec une même volonté de ne rien faire. Ils se sont contentés de faire expertiser médicalement les victimes pour vérifier qu’il s’agissait bien de victimes et de les faire auditionner ! Ces minuscules actes d’instruction avaient au moins l’avantage d’éviter que la plainte pour blessures involontaires ne s’éteigne par prescription…

Mais la situation fut plus délicate en ce qui concerne la plainte pour mise en danger d’autrui qui a bien failli être atteinte par la prescription. En effet, pendant trois ans les magistrats n’avaient fait absolument aucun acte d’instruction et il a fallu faire le forcing dans les semaines précédant la date fatidique pour obtenir l’audition d’un témoin … ce qui a permis de gagner trois années supplémentaires !

Ce n’est qu’avec l’arrivée en 2002 de la quatrième juge d’instruction, Marie-Odile Bertella-Geoffroy, spécialisée dans les affaires de santé publique, que l’instruction a véritablement commencé. Des perquisitions ont été diligentées dans les établissements du campus Jussieu, au rectorat de Paris, mais aussi au ministère du travail et au ministère de la santé. Et les premières mises en examen ont été signifiées le mercredi 12 janvier 2005.

Les mises en examen

Le 12 janvier dernier, après avoir entendu les présidents des universités Paris 6 et Paris 7, Gilbert Béréziat et Benoît Eurin, ainsi que le directeur de l’Institut de physique du globe, Vincent Courtillot, chefs des 3 établissements du campus Jussieu, la juge d’instruction Bertella-Geoffroy, leur a signifié leur mise en examen pour mise en danger d’autrui, en tant que personnes morales, c’est-à-dire en tant qu’établissements. Cette mise en examen porte sur la période 1994-2004.

La juge a également signifié aux présidents des universités qu’ils étaient entendus comme témoins assistés dans la plainte pour blessures et homicides involontaires, qui concerne une période plus ancienne, des années 60 aux années 80.

Depuis, les auditions se succèdent à un rythme soutenu, les anciens présidents d’université étant notamment entendus.

Ces mises en examen constituent un premier pas important franchi dans l’instruction des plaintes déposées par le comité anti-amiante il y a 8 ans. Il ne fait nul doute que l’existence du risque amiante est avérée à Jussieu depuis 1974 et que rien n’a été fait pendant plusieurs décennies. La mise en examen des établissements obligera les chefs d’établissement de s’expliquer sur la responsabilité propre de ceux-ci en matière de sécurité et de remonter la chaîne des responsabilités qui implique également les ministères mais aussi les industriels de l’amiante, qui, au travers de leurs experts scientifiques, en charge de la « surveillance » médicale et épidémiologique des personnels de Jussieu , se sont essentiellement employés à minimiser les risques sur le campus.

Les maladies professionnelles à Jussieu

Il y avait à l’automne 2004, 110 personnes déclarées en maladie professionnelle liée à l’amiante sur le campus Jussieu. La plupart ont des plaques pleurales ou des épaississements pleuraux mais il y a aussi dix cas de cancer (4 mésothéliomes et 6 cancers broncho-pulmonaire) et deux cas d’asbestose.

Ces pathologies touchent tous les métiers rencontrés à l’université : personnels des services techniques et de nettoyage, administratifs, techniciens, ingénieurs, enseignants, chercheurs.

Ces chiffres sont ceux fournis par les services médicaux des universités. Ils ne sont pas exhaustifs, notamment parce que les services médicaux ne prennent pas en compte les personnes qui changent de lieu de travail, ni toutes celles qui partent à la retraite.

Ainsi le comité anti-amiante Jussieu a recensé 7 personnes qui sont décédées de mésothéliome reconnu en maladie professionnelle dont 5 enseignants, chercheurs ou ingénieurs qui n’avaient pas eu d’autre exposition qu’à l’amiante de Jussieu et qui sont décédés dans les 2 dernières années. Une des personnes atteinte d’asbestose est morte récemment des suites de celle-ci.

Les étudiants ne sont pas suivis par les services médicaux des universités et il est impossible de faire un bilan les concernant. Cependant, le comité anti-amiante a eu connaissance de deux cas de maladie liée à l’amiante chez des anciens étudiants de Jussieu n’ayant pas eu d’autre exposition à l’amiante.

Qu’est-ce que la mise en danger d’autrui ?

La mise en danger d’autrui est un délit introduit dans le nouveau code pénal entré en vigueur le 1er mars 1994. L’article 223-1 du code pénal prévoit que «Le fait d'exposer directement autrui à un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente par la violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement est puni d'un an d'emprisonnement et de 15000 euros d'amende.»

Ce délit est un élément important de prévention : contrairement aux autres délits, il n’y a pas besoin que le danger se concrétise par un dommage pour que le délit soit constitué, c’est la mise en danger elle-même qui est un délit. Il ne faut cependant pas penser que la mise en danger soit à elle seule suffisante pour constituer en elle-même le délit. Du point de vue juridique, encore faut-il qu’il y ait «violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement».

Le délit concerne aussi bien les personnes morales (c’est-à-dire les établissements) que les personnes physiques. Les personnes morales encourent notamment l’interdiction, temporaire ou définitive, d’exercer une ou plusieurs activités et le placement sous surveillance judiciaire pour une durée maximale de cinq ans (article 223-2 du Code Pénal).