A monsieur le doyen des juges d'Instruction près le Tribunal de Grande Instance de Paris
PLAINTE AVEC CONSTITUTION DE PARTIE CIVILE
1 - L'association "Comité Anti Amiante Jussieu" dont le siège est situé
Université Paris VII Denis Diderot,
U.F.R. de Mathématiques, case 7012,
2 Place Jussieu, 75251 PARIS cedex 05,
dont les statuts ont été enregistrés le 2 mars 1995 (n° d'enregistrement1602, paru au J.O. du 29 mars 1995)
représentée par son président Monsieur Michel Parigot
2 - Mme XYZ née le, demeurant à : XXX et Mr XYZ né le, demeurant à : XXX
Ayant pour Avocats :
Maître Michel LEDOUX, Avocat au barreau de PARIS,
Maître Jean-Paul TEISSONNIÈRE, Avocat au barreau de PARIS,
ONT L'HONNEUR DE PORTER A VOTRE CONNAISSANCE LES FAITS SUIVANTS:
(table des matières pour mémoire )
Le problème de l'amiante à Jussieu est posé avec précision depuis plus de 20 ans, sans qu'aucune solution ne lui ait été apportée. Dès 1975, des rapports officiels indiquaient pourtant que la situation était inacceptable et que des travaux devaient être faits. Le long temps de latence des maladies dues à l'exposition à l'amiante (35 ans en moyenne pour le mésothéliome) a permis aux autorités d'utiliser le doute pour repousser la mise en oeuvre d'une solution. Mais, comme cela était prévisible, les premiers cas de maladies dues à l'amiante de Jussieu sont apparus. On recense, à ce jour, parmi les personnels de Jussieu, 20 cas de maladies déclarées au titre du tableau 30 des "maladies professionnelles consécutives à l'inhalation de poussières d'amiante" ; certaines de ces personnes n'ont pas eu d'autre exposition à l'amiante que celle des flocages de Jussieu.
Le campus de Jussieu, situé dans le Vème arrondissement de la ville de Paris, abrite actuellement deux universités (Paris 6 ou "Université Pierre et Marie Curie" et Paris 7 ou "Université Denis Diderot") et l'Institut de Physique du Globe de Paris (I.P.G.P.). Le campus sera désigné dans la suite sous le nom de "Jussieu".
Commencée en 1964, la construction du campus de Jussieu s'est arrêtée en 1972 ; deux ans plus tard des chercheurs du laboratoire de Physico-Chimie Instrumentale (devenu plus tard Géochimie de l'environnement), testant du matériel de prélèvement aérosol, furent intrigués par la présence d'une grande quantité de poussières perturbant leurs expériences, interrogèrent des spécialistes qui identifièrent l'amiante et sa provenance : les plafonds des locaux et les placards (gaines techniques) des couloirs.
Une grande partie du campus (la tour "centrale" ou dite "Zamanski", ainsi que la totalité des cinq étages du "Gril", soit environ 200 000 m2 de locaux) est en fait floquée à l'amiante, matériau déjà reconnu à l'époque fortement cancérogène. L'application de l'amiante sur les poutres métalliques et dans les gaines techniques a été réalisée par projection (procédé "asbestospray") dans le but d'augmenter la résistance au feu du bâtiment à structure métallique.
La présence de ce danger suscita la création du "Collectif Intersyndical Amiante". Ce collectif mena une vigoureuse campagne d'information et de dénonciation des dangers de l'utilisation de l'amiante de 1974 à 1979. Les informations rassemblées par le collectif ainsi que la description de leur lutte sont bien résumées dans leur livre Danger Amiante; (édition Maspéro, 1977).
Sous la pression des personnels et du collectif, les présidents des universités et les autorités commandèrent successivement plusieurs rapports d'expertise sur la pollution par l'amiante du campus Jussieu et les dangers encourus par les personnels. Ainsi, au cours de l'année 1975, une étude fut menée par le Laboratoire d'Etude des Particules Inhalées (LEPI) :
"Étude de la pollution asbestosique dans les locaux des universités Paris VI et Paris VII"
celle-ci fut complétée, en août 1975, par un rapport du professeur Bignon au président de l'université Paris 7:
" Notions actuelles sur la toxicité de l'amiante pour l'homme "
puis une double étude fut menée par le Centre d'Etudes et de Recherches des Charbonnages de France (CERCHAR), datée de janvier 1976 :
" Étude de la pollution par l'amiante dans les locaux de l'université Pierre et Marie Curie "
et l'Institut National de Recherche et de Sécurité (INRS) datée de décembre 1975 :
" Résultats d'analyses de poussières prélevées dans les locaux des universités Paris VI et Paris VII ".
Les résultats et conclusions de ces études sont sans équivoque : les experts ont mesuré des concentrations de fibres d'amiante dans l'air qu'ils jugent alarmantes, ils signalent déjà que la structure du bâtiment (infrastructure électrique, d'eau, de gaz au contact des flocages notamment) constitue un facteur aggravant. Ces rapports sont analysés plus en détail dans un chapitre suivant mais notons déjà la conclusion de l'étude du CERCHAR : " En conclusion, sachant que les connaissances ne permettent pas de définir une concentration limite garantissant l'absence de risque de mésothéliome pleural dû à l'inhalation de fibres d'amiante, les quantités de fibres trouvées dans l'atmosphère des locaux de l'Université Pierre et Marie Curie doivent être considérés comme inacceptables " . En effet, les données épidémiologiques de l'époque indiquaient l'absence d'un seuil au dessous duquel les fibres d'amiante cesseraient de provoquer des cancers, et ces données ont été pleinement confirmées par les recherches qui ont suivi. La conclusion, en terme de risque pour la santé des occupants du bâtiment de Jussieu, est clairement énoncée dans le rapport du docteur Bignon :
" Compte tenu de l'observation de pics élevés de pollution atmosphérique (jusqu'à 800 ng/m3) dans certains locaux de Paris VII [...] il paraît difficile de laisser le personnel et les étudiants de Paris VII travailler dans de telles conditions d'insécurité pour la santé "
En 1976, les autorités de tutelle avaient tous les éléments pour agir :
Plusieurs députés interpellèrent au parlement le gouvernement sur la question de Jussieu et plus généralement sur les établissements d'enseignement floqués à l'amiante :
La réponse de Mme le Secrétaire d'Etat aux universités (Mme Saunier-Seite) semble invariable : " [...] pas de compétence [...] des études interministérielles actuellement en cours définiront les mesures à prendre".
Le 1er novembre 1979 : M. Emmanuel Hamel attire l'attention de Mme le ministre des universités [...] quant aux dangers que les flocages d'amiante font courir à la santé des étudiants, des professeurs et du personnel travaillant au campus de Jussieu.
La réponse mentionne le financement d'une étude au Centre Scientifique et Technique du Bâtiment (CSTB)
" cette étude a permis de prendre en considération la protection des bâtiments contre la dégradation des flocages à base d'amiante [... ] (le Ministère des universités consacre environ 10 millions de francs par an à ces travaux) "
On notera que Mme le Ministre ne se déclare plus incompétente, même si un lapsus la fait parler de " protection des bâtiments " au lieu de protection des personnels. Le chiffre de 10 millions par an ne correspond pas aux faits.
En fait, le secrétariat d'Etat aux universités a accordé, en novembre 1975, un crédit de 1,4 millions pour les premiers travaux dans les rez-de-chaussée, rien les trois années suivantes, puis le Rectorat a débloqué 2,4 millions en août 1978 pour achever la "première" tranche de travaux (octobre 1978-79). Remarquons que, même si ces sommes sont modestes, elles indiquent une connaissance et une reconnaissance du problème.
Au cours de cette période, seront avertis et sollicités, par de multiples lettres du Collectif Amiante, tous les échelons de la hiérarchie : les présidents des universités, le Service Construction de l'Académie de la Région Ile de France (SCARIF, directeur M. Schmidt), le Recteur (M. Mallet), Mme le Ministre (des universités), M. le 1er ministre (R. Barre)
Ainsi, dès 1977, aucun responsable ne peut prétendre ignorer le problème de Santé Publique posé par les flocages d'amiante à l'université de Jussieu, ni la nécessité d'y remédier dans les plus brefs délais.
L'action d'information du Collectif Amiante, relayée par certains médias, contraignit les pouvoirs publics à promulguer les premières lois de protection des travailleurs exposés aux poussières d'amiante en 1977 (la première législation en Angleterre, en matière de protection vis-à-vis de l'amiante, date de 1931).
L'action d'information du Collectif Amiante et l'émotion dans la population amenèrent aussi les pouvoirs publics à interdire le procédé de flocage à l'amiante en raison de son extrême dangerosité (arrêté du 29 juin 1977, puis décret du 20 mars 1978).
Cependant, aucune législation concernant les bâtiments déjà floqués ne fut mise en place. Ainsi les premiers travaux de protection, sur le campus Jussieu, engagés en 1975, ne furent complétés qu'en 1979, à la suite de plusieurs années d'intense mobilisation de membres du personnel ; les promesses officielles furent aussi données à l'époque d'engager des travaux globaux . Par exemple le journal "Paris7 Information" (journal de la présidence) du 24 octobre 1978 indique
"AMIANTE : ENFIN DU NOUVEAU ! 1) le Ministère des Universités vient de débloquer les crédits nécessaires à l'achèvement des travaux de protection contre l'amiante dans les rez-de-chaussée. Ces travaux doivent se terminer au mois de juin 1979. 2) En ce qui concerne les revêtements d'amiante situés dans les étages du quadrilatère et dans la tour centrale, les études permettant de définir et mettre au point des solutions techniques fiables vont débuter courant octobre. Il reste à obtenir du Ministère la mise au point d'un plan de financement qui permette d'accomplir ces travaux dans les délais raisonnables. "
Ces travaux partiels, dont le maître d'ouvrage fut le Service Construction de l'Académie de la Région Ile-de-France (SCARIF) ont consisté à emprisonner dans un revêtement de plâtre le flocage d'amiante des rez-de-chaussée du Gril et se sont arrêtés, faute de financement en 1980. En particulier, aucun traitement n'a été réalisé dans les étages.
Par la suite, essentiellement aucun crédit ne fut débloqué et rien ne fut entrepris pour diminuer la pollution par l'amiante des locaux de l'université. Pire, en l'absence de mise en oeuvre de solution durable et nécessairement coûteuse, les autorités se sont attachées à minimiser le problème, voire à l'occulter. Cette "loi du silence" a eu pour corollaire une absence quasi-totale de mesures de précaution même minimales - pourtant indispensables dans un bâtiment contenant de l'amiante. Des dizaines de milliers de personnes ont ainsi été mises en danger sans être informées par les autorités du danger qu'elles couraient. Même les personnels de maintenance, qui de toute évidence encouraient des risques très importants, n'ont pas bénéficié des protections indispensables.
A cette époque furent organisés un service de surveillance médicale et une étude épidémiologique. Celles-ci ne contribuèrent en rien à la mise en place de mesures de prévention. Elles eurent même l'effet inverse. L'absence de cas, qui s'expliquait par le long temps de latence des maladies provoquées par l'amiante, donnait aux occupants du campus le sentiment d'une absence de danger. Pour éviter cela, il aurait fallu les accompagner d'une information adéquate, qui fit défaut.
Le SCARIF commanda à la SETEC, en 1982, un rapport général sur la sécurité à Jussieu dont les " risques dus à la présence d'amiante " ne constituent qu'une partie. En 1983, le SCARIF commanda une nouvelle campagne de mesures de concentration de fibres d'amiante dans l'air au Bureau de Recherches Géologiques et Minières (BRGM). Ces rapports sont également analysés plus loin en détail ; ils confirment essentiellement le danger et les caractéristiques aggravantes du bâtiment de Jussieu.
Ces nouveaux rapports n'entraînèrent le financement d'aucuns travaux de protection, ni même la mise en place de consignes de sécurité, ni une quelconque information circonstanciée en direction des occupants du bâtiment.
Quelques avertissements isolés resteront sans effet ; ainsi des consignes de sécurité concernant l'amiante ont été édictées par les services de sécurité (M. Vinit, dès 1977 pour Paris 7 et M. Lebbe, dès 1976 pour Paris 6) ; dans une note du 17 septembre 1984, M. Lebbe, ingénieur de sécurité rappelle que " l'utilisation des gaines techniques floquées à l'amiante pour entreposer est FORMELLEMENT proscrite " ; de nombreux rapports des services de la Préfecture de Police mentionnent le " stockage anarchique de documents, d'objets dans les gaines " (les rapports de la Préfecture de Police concernent le risque incendie).
Une note du SCARIF, datée du 1er juin 1983, et intitulée " Programme de l'étude de faisabilité " concernant le " traitement des flocages d'amiante au niveau Jussieu et supérieurs du gril 12-66 et de la tour d'administration " est particulièrement édifiante sur les préoccupations qui ont présidé aux prises de décision concernant le traitement du problème de Santé Publique dû aux flocages d'amiante à Jussieu : cette note observe que le procédé utilisé dans la tranche de travaux "pilotes" de 1982-83 " donne unanimement satisfaction [...] Mais le prix moyen du traitement atteint environ 700 Francs TTC/m2 de plancher et donc en raison du faible budget que l'éducation nationale peut consacrer à l'entretien et la rénovation de son patrimoine immobilier, certains occupants devraient attendre plusieurs dizaines d'années avant de vivre en atmosphère normale. C'est pourquoi il a été décidé d'étudier des procédés moins coûteux ". Le SCARIF reconnaît plus loin que " les solutions ainsi mises en oeuvre sont provisoires et imparfaites ".
Il est donc clair que des considérations économiques à court terme expliquent l'inaction des pouvoirs publics, et ceci malgré la pleine connaissance des risques encourus par les usagers du bâtiment de Jussieu.
Il faut aussi noter que ces " procédés moins coûteux " n'ont pas été, dans la suite, mis en oeuvre. Seuls quelques travaux, souvent à l'initiative de laboratoires ont été réalisés sans qu'ils relèvent d'un quelconque plan d'ensemble.
Si, durant cette période, les responsables des Ministères se sont préoccupés du problème de l'amiante à Jussieu, cela ne s'est traduit par aucune action, ni même, semble-t-il, aucune déclaration.
Même les agents des services techniques qui, travaillant au contact direct de l'amiante, subissaient de toute évidence des expositions très fortes, n'ont fait l'objet d'aucune attention particulière. Personne, à notre connaissance, ne s'est soucié de vérifier par des mesures la quantité de poussières d'amiante qu'ils respiraient à leur poste de travail. C'est seulement en 1995, à l'initiative des services techniques de Paris 7 eux-mêmes, que des mesures furent effectuées. Elles ont montré que l'empoussièrement était beaucoup plus important que ce que la réglementation autorisait.
La période 1980-94 fut donc celle, où, profitant du relatif épuisement de la mobilisation et de la disparition de l'écho médiatique, les autorités organisent le silence et l'inaction sur le problème de l'amiante à Jussieu. Cette période est aussi celle où, au niveau national, le Comité Permanent Amiante, structure de lobbying créée par les industriels de l'amiante, organise la désinformation et pousse les pouvoirs publics à l'inaction.
En 1989, fut commandée, au L.E.P.I, une nouvelle étude des taux d'empoussièrement à l'amiante. L'étrange rapport qui fut fourni est le seul qui se veuille "rassurant" en ce qui concerne la pollution par l'amiante à Jussieu. Bien que ce rapport reconnaisse lui-même que la méthodologie appliquée n'était pas la bonne (les mesures n'ont pas été faites avec " une activité normale à l'intérieur des locaux "), il semble en conclure que la dégradation des flocages (constatée dès 1975 par le LEPI lui-même, par l'INRS et le CERCHAR, puis en 1982-83 par la SETEC et le BRGM) s'est miraculeusement arrêtée.
La publication scientifique qui fera suite à ce rapport en 1994 (" Airborne Asbestos Fibers in a Building After Remedial Actions on Sprayed Asbestos-Containing Materials ") permet de mieux comprendre ce rapport. Sous la signature notamment de Patrick Brochard (directeur du LEPI) et de Jean Bignon (ex-directeur du LEPI), tous deux membres du Comité Permanent Amiante, l'article cherche à montrer qu'on peut très bien vivre avec l'amiante dans les bâtiments.
Bien entendu, rien ne fut entrepris, à la suite du rapport du LEPI pour limiter la pollution par l'amiante.
Durant toute cette période, les Comités d'Hygiène et Sécurité (CHS) des universités furent les seuls endroits, semble-t-il, où le problème de l'amiante fut abordé. En effet les représentants syndicaux des personnels ont maintes fois tenté de remettre ce problème à l'ordre du jour.
C'est la prise de conscience de l'existence de cas de maladies professionnelles dues à l'amiante, parmi les personnels de Jussieu, qui motivera la création du Comité Anti Amiante Jussieu, en octobre 1994 qui se transformera en Association loi 1901 en mars 1995 (à ce moment-là, 9 cas sont reconnus au titre du tableau 30 des Maladies Professionnelles).
C'est le début d'une mobilisation importante des personnels. Le 2 novembre 1994, le Comité Anti Amiante Jussieu distribue un tract " Amiante à Jussieu : l'air contaminé ". Le journal France-Soir fait sa "une" sur l'amiante en titrant " Amiante : Alerte " et consacre deux pages à la situation du campus Jussieu.
Le Comité Anti Amiante Jussieu mena une double action :
Le premier résultat de la mobilisation fut d'amener une certaine prise de conscience chez les personnes amenées à exercer des responsabilités. Les présidents des universités Paris 6 et 7 et le directeur de l'IPG mettent en place le Comité Inter Etablissements (CIE, créé le 2 novembre 1994) chargé de " l'évaluation des risques dus à l'amiante, de la mise en oeuvre d'un plan de prévention, de la gestion des bâtiments et installations du campus Jussieu, assorti d'un renforcement de l'information sur la surveillance médicale des personnels exposés ".
Sous l'impulsion des représentants des syndicats du personnel et du Comité Anti Amiante, le Comité Inter Établissement proposa des mesures qui marquèrent un changement en matière de sécurité sur le campus :
Il faut cependant noter que les mesures préconisées par le CIE ne furent mises en place qu'avec un grand retard :
En mai 1995, se produisit une inondation dans un laboratoire de Physique, le GPS, qui entraîna une importante pollution par l'amiante. Le président de l'Université Paris 7, Jean-Pierre Dedonder, pris alors la décision de principe de faire du GPS un chantier "pilote" de déflocage. Le démarrage effectif des travaux doit avoir lieu en octobre 1996. Cette décision demeurera malheureusement isolée (le chantier représente moins de 1% des surfaces à traiter).
Le Comité Anti Amiante entreprit de nombreuses démarches auprès des autorités de tutelle, sous forme de lettres et entretiens, pour les convaincre de procéder au désamiantage du campus. Personne ne contesta la gravité du problème de l'amiante à Jussieu, mais aucune décision ne fut prise visant à résoudre le problème. Seul un "diagnostic" fut obtenu après des mois de tergiversations.
23 novembre 1994 : le Comité Anti Amiante Jussieu envoie une lettre à M. le Premier Ministre, Edouard Balladur et M. Le Ministre de la Recherche et de L'Enseignement Supérieur, François Fillon (avec copie à : Monsieur le Ministre des Affaires sociales, de la Santé et de la Ville, Monsieur le Ministre Délégué à la Santé, Monsieur le Président du conseil Régional d'Ile-de-France, Monsieur le Maire de Paris, Monsieur le Recteur de l'Académie de Paris, Messieurs les Présidents des Universités Paris 6 et 7) décrivant la situation du problème de l'amiante à Jussieu dont la conclusion était : " Il y a là un problème de santé publique qui engage votre responsabilité présente et future. Nous vous demandons de prendre d'urgence les décisions qui s'imposent pour que soit procédé à l'enlèvement complet du flocage à l'amiante du centre Jussieu ".
Une lettre similaire fut envoyée individuellement, au Ministre de la Recherche et de L'Enseignement Supérieur, par plus de 800 personnes travaillant sur le campus Jussieu. Conjointement, une pétition lancée par l'Intersyndicale des personnels de Jussieu recueillit plus de trois mille signatures et fut également transmise au ministère.
7 décembre 1994: la réponse du Premier Ministre (lettre signée par M. Soetemont, Chef du Service des Interventions) fut de transmettre au Ministre de la Recherche et de L'Enseignement Supérieur (M. Fillon).
17 janvier 1995: la réponse du Ministre de la Recherche et de L'Enseignement Supérieur fut de préciser que " des actions ont déjà été conduites au cours des années passées [...] pour une dépense totale d'environ 45 millions de francs " et que " les services du Ministère suivent la situation avec la plus grande attention et continueront à soutenir, avec les moyens dont ils peuvent disposer, l'action des Présidents des deux universités et du directeur de l'IPG " (lettre signée J-F. Zahn et lettre du 11 janvier 1995, signée par M. Bardet, DGES).
22 février 1995: le Comité Anti Amiante Jussieu adresse une lettre à Monsieur Bardet, Directeur Général des Enseignements Supérieurs, dans laquelle il demande un engagement à financer les travaux de retrait complet de l'amiante et demande le début des travaux au 1er juillet 1995.
27 février 1995: lors d'une entrevue qu'il accorde au Comité Anti Amiante Jussieu, le Directeur Général des Enseignements Supérieurs refuse de s'engager sur ces points, tout en reconnaissant la gravité et l'urgence du problème de l'amiante à Jussieu. Il laisse seulement entrevoir la possibilité, pour le Ministère, de financer un diagnostic et une étude de faisabilité.
2 mars 1995: première conférence de Presse du Comité Anti Amiante Jussieu où témoignera M. Lebbe, atteint d'une maladie professionnelle reconnue (fibrose) due à l'amiante inhalé durant son travail d'ingénieur de sécurité à Jussieu.
mars 1995: communiqué de presse du Directeur Général des Enseignements Supérieurs et du Vice-Chancelier des universités de Paris confirmant que " l'Etat était préoccupé par les conséquences de l'utilisation d'amiante au cours des années 70 dans les bâtiments de Jussieu et qu'il était décidé à prendre les mesures nécessaires à son éradication " et lettre aux présidents des universités annonçant le financement " des études préalables au chantier d'extraction de l'amiante ".
21 mars 1995: le Comité Anti Amiante Jussieu organise un colloque : "Amiante, un problème de Santé Publique " où les meilleurs experts internationaux du domaine font le point sur divers aspects du problème de Santé Publique posé par l'amiante. En ce qui concerne le campus Jussieu, tous les intervenants s'accordent pour dire que c'est un cas extrême de pollution par l'amiante et que des mesures urgentes s'imposent. Michel Guillemin, Professeur à l'Institut de Santé au Travail de Lausanne explique que dans une situation analogue, en Suisse, l'autorité fixerait un délai de quelques mois pour la mise en oeuvre d'un plan d'assainissement détaillé avec un calendrier.
13 juin 1995: une lettre adressée au Secrétaire d'Etat à l'Enseignement Supérieur (M. de Boishue), réitère les demandes et conclut " Compte tenu de l'urgence de la situation qui met en jeu la santé des personnes et pour éviter d'en venir à une fermeture qui serait préjudiciable pour tous nous vous demandons de prendre des décisions rapides ".
Cette lettre restera sans réponse.
28 septembre 1995: Mme le Ministre de la Santé (E. Hubert) s'exprime publiquement (invitée sur France 2, après un reportage d'envoyé spécial " mortel amiante ") ; concernant le cas de Jussieu, elle déclare : " ...pour Jussieu, il n'y a pas besoin effectivement d'être grand clerc pour voir ce qui est en train de se passer, obligation de travaux. Sanction si cela n'est pas fait... "
Cette déclaration énergique fut une exception. Quelques semaines plus tard, E. Hubert n'était plus ministre.
23 novembre 1995: est remis aux présidents d'université le rapport d'expertise réalisé par le groupement SETEC-BRGM-EUROTEC-FIBRECOUNT et intitulé " Traitement des surfaces amiantées du campus de Jussieu, diagnostic et étude de faisabilité ". Il est transmis immédiatement aux autorités de tutelle. L'étude, d'une durée de 4 mois, comprenait une visite systématique des locaux, pièce par pièce et reposait sur un diagnostic visuel (méthode qui sera imposée 3 mois plus tard par le décret du 7 février 1996). La compétence et l'expérience internationales des auteurs du rapport, en matière d'expertise des bâtiments contenant de l'amiante, rendent les conclusions indiscutables. Celles-ci sont claires et sans appel :
Fin novembre 1995, les autorités responsables disposaient donc d'un rapport incontestable qui indiquait clairement, non seulement les risques et l'urgence de travaux mais également ce qu'il fallait faire et comment le faire. On aurait pu penser que, munis de ce rapport, les responsables à tous les niveaux allaient réagir rapidement et prendre les mesures qui s'imposaient. Il n'en fut rien. Aucune action concrète ne sera entreprise pour résoudre le problème, bien au contraire. Le désamiantage sera considéré, au mieux, comme un prétexte pour réaliser d'autres opérations.
Fin novembre 1995: Jean-Pierre Dedonder, président de l'université Paris 7, propose aux autorités de tutelle un projet de déménagement définitif de l'université Paris 7 sur la ZAC Seine Rive Gauche. Pour financer la construction de cette université, seraient vendus les bâtiments A,B, C et F de l'université Paris 6 (qui ne contiennent pas d'amiante). Ce projet est présenté comme une "solution" au problème des locaux tampons nécessaires au désamiantage de Jussieu ; en pratique, conditionner le désamiantage par un déménagement définitif de toute ou une partie d'une université conduirait à retarder considérablement le début du désamiantage, car il faudrait d'abord mettre en place les nouveaux locaux.
Ce projet marque le début d'un double langage des autorités qui durera 9 mois. D'un côté on affirme vouloir effectuer le désamiantage le plus rapidement possible ; de l'autre on ne discute que de projets immobiliers qui répondent à de toutes autres considérations que la santé publique.
7 décembre 1995: une lettre du Comité Anti Amiante Jussieu adressée au Ministre de l'Education Nationale, de L'Enseignement Supérieur et de la Recherche (M.Bayrou), rappelle les principales conclusions du rapport d'expertise SETEC-BRGM-EUROTEC-FIBRECOUNT et demande la mise en oeuvre rapide des recommandations des experts, ainsi qu'un engagement du Ministère sur un plan de financement précis et complet des travaux et la mise en place d'une structure de concertation.
8 décembre 1995: lors d'une entrevue avec le Directeur du Cabinet du Ministre de l'Education Nationale, M. Delon, celui-ci promet une mise en oeuvre rapide : premier appel d'offre fin janvier et début des travaux durant l'été 1996.
Ces promesses orales ne seront pas tenues.
18 décembre 1995: le Comité Anti Amiante Jussieu adresse une lettre aux présidents des universités Paris 6 et Paris 7 dans laquelle il plaide pour que les universités mettent en place l'organisation nécessaire à l'opération de désamiantage du campus. Outre le "service central amiante" déjà préconisé dans le rapport SETEC-BRGM-EUROTEC-FIBERCOUNT, il demande la création :
Cette lettre restera sans effet, et aucune solution concrète au problème du désamiantage ne sera proposée par les universités.
5 février 1996: Le Comité Anti Amiante Jussieu et l'Intersyndicale adressent une lettre aux présidents des universités Paris 6 et Paris 7 pour leur demander de " ne pas lier les projets de construction ou de réorganisation des universités avec la question de l'enlèvement de l'amiante " pour ne pas " retarder " cette dernière. Cette lettre précise " Les projets de construction d'une nouvelle université, présentés comme une solution au problème des locaux tampons, risquent de se révéler dans les faits comme un obstacle majeur ". En effet, " la contamination par l'amiante du campus Jussieu est un problème de santé publique qui nécessite une solution urgente " alors que " la réorganisation des locaux des universités parisiennes doit au contraire faire l'objet d'une réflexion longue et approfondie ".Cette lettre réitère la demande de création d'une " commission locaux " chargée d'étudier les " solutions possibles aux problèmes des locaux tampons ".
Cette lettre restera sans effet.
7 février 1996: publication de deux importants décrets sur " la protection de la population contre les risques sanitaires liés à une exposition à l'amiante dans les immeubles bâtis " et " la protection des travailleurs susceptibles d'être exposés à l'inhalation des poussières d'amiante " ; annonce de la création de l'Association Nationale de Défense des Victimes de l'Amiante (ANDEVA).
11 mars 1996: une lettre co-signée par le Comité Anti Amiante Jussieu et par les syndicats des universités (SGEN-CFDT P6-P7,-CNRS, FERC-SUP P6, SNTRS P6-P7, USCA P6-P7, SNESup P6, SNCS P6-P7) et adressée aux présidents des universités, précise que " Nous estimons que dans les conditions actuelles, la sécurité des usagers du campus Jussieu n'est pas assurée " et le maintien des activités du campus est impossible sans les décisions d'engagement du ministère à financer les travaux de retrait complet de l'amiante, l'affectation de crédits correspondant à une première tranche de travaux et aux travaux d'urgences préconisés dans le rapport du diagnostic. La lettre conclut : " En l'absence de notification écrite de ces décisions, nous vous demandons de faire procéder à la fermeture de tous les locaux floqués à l'amiante du campus Jussieu relevant de votre établissement à partir du 2 avril 1996. "
12 mars 1996: lettre du Comité Anti Amiante et des syndicats des universités, au Ministre, François Bayrou, demandant " l'engagement à financer les travaux de retrait complet et rapide de l'amiante " et l'informant de la lettre envoyée le 11 mars aux présidents des universités.
13 mars 1996: Monsieur le Recteur (Daniel Vitry) annonce publiquement une décision de travaux (voir lettre des présidents des universités du 20 mars 1996).
20 mars 1996: lettre des présidents des universités au Comité Anti Amiante Jussieu et aux syndicats ; les présidents indiquent l'annonce publique de M. Vitry de la " décision d'un enlèvement complet et définitif de l'amiante du campus ", ajoutent que " cela nous a été confirmé explicitement le lendemain par Monsieur Francis Delon, directeur du cabinet de Monsieur François Bayrou " et estiment avoir " reçu l'assurance que des lignes spécifiques de crédits étaient ouvertes au ministère ". Ils estiment en outre qu'en mettant en oeuvre " les mesures d'urgence permettant de limiter et de contrôler les taux d'empoussièrement ", ils se conforment au cadre réglementaire qui assure la sécurité des usagers du campus. Ils concluent que " dans ce cadre, la demande de faire procéder à la fermeture des locaux floqués ne peut être considérée comme pertinente ".
22 mars 1996: entrevue au Ministère de l'Education Nationale, avec MM. Delon, Legall et Forestier au cours de laquelle M. Delon remet à M. Parigot, président du Comité Anti Amiante Jussieu, une lettre répondant à la lettre du 11 mars et annonçant la décision de l'Etat de procéder à l'enlèvement complet de l'amiante de Jussieu et que l'Etat sera maître d'oeuvre et a engagé une procédure d'appel d'offre pour un programmiste qui établira un calendrier : " J'ai moi-même personnellement confirmé aux présidents des universités installées sur le campus la décision prise de désamianter la totalité du site de Jussieu. Les travaux prévoient également la mise en sécurité incendie et la mise en conformité des circuits électriques. La maîtrise d'ouvrage de l'ensemble de ces opérations relèvera de l'Etat, du fait de la dimension des chantiers. Au ministère, des crédits sont d'ores et déjà affectés spécialement à ces travaux. Dans le numéro de la semaine prochaine du Journal Officiel des Communautés Européennes [...] va paraître l'appel d'offre pour ordonnancement, pilotage, coordination pour la programmation et le pilotage de l'opération de désamiantage du campus de Jussieu. "
L'appel d'offre n'entraînera aucune action de la part du Ministère. La date de remise des plis est fixée au 14 mai ; mais ceux-ci ne seront pas ouverts! Ce n'est qu'après la première réunion de la "mission Jussieu" du 18 juillet, suite à l'insistance des représentants du Comité Anti amiante et des syndicats, qu'ils seront ouverts. Plus de deux mois seront ainsi perdus.
28 mars 1996: Manifestation des personnels de Jussieu qui défilent du parvis de l'université à la rue de Grenelle, pour protester contre la pollution par l'amiante dans le bâtiment de l'université, à l'appel du Comité Anti Amiante Jussieu et des syndicats des personnels et étudiants des universités ; une délégation du Comité Anti Amiante Jussieu et des représentants syndicaux (SGEN-CFDT, CGT, SNESup FSU, SNCS, UNEF-ID, UNEF-SE) est reçue par MM. Delon, Legall, Vitry et un représentant de M. Forestier.
La décision de désamianter est confirmée, mais aucune action concrète n'est envisagée.
19 juin 1996: une lettre du Comité Anti Amiante Jussieu, adressée à M. Bayrou, Ministre de l'Education Nationale, de L'Enseignement Supérieur et de la Recherche (copies à M. Vitry, Vice-Chancelier des Universités, M. Forestier, DGES, M. Lott, Directeur du SCAP et aux Présidents des universités Paris 6 et 7), rappelle les démarches déjà entreprises, les promesses non tenues, exprime clairement que " Nous estimons la limite franchie " et fixe un délai de quinze jours pour prendre des décisions.
Par ailleurs, de nombreuses questions parlementaires (une vingtaine en 95-96) rappellent l'urgence et l'importance des problèmes liés à l'amiante. Plusieurs citent le "cas" Jussieu :
D'autres interpellent directement les Ministères à propos de l'urgence du traitement des flocages de Jussieu et de l'inaction des pouvoirs publics :
Réponse de M. Bayrou, Ministre de l'Education Nationale, de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche, le 23 janvier 1996, à Mme Borvo, qui l'interpelait sur la " Sécurité des locaux du campus Jussieu " :
[Sur le problème des locaux floqués, en général] " Il est clair qu'il y a des maladies professionnelles ; elles frappent d'ailleurs non pas le public mais, le plus souvent, ceux qui, à l'occasion de travaux techniques, ont été exposés à l'amiante. Il y a donc une responsabilité générale. Vous le savez, cela fait trente ans que cette affaire traîne et on ne pourra pas plus longtemps faire comme si le problème ne se posait pas. "
[Sur le problème de Jussieu en particulier] " L'un des présidents d'université m'a dit qu'il explorait trois pistes. Pour l'instant, je ne peux pas en dire plus, vous le comprendrez, madame le sénateur. Mais je suis naturellement prêt à revenir devant le Sénat dans trois mois pour vous informer des conclusions auxquelles nous serons parvenus tant sur le plan du calendrier qu'au plan des décisions à mettre en oeuvre pour traiter ce problème. "
Six mois plus tard, le journal "Le Monde" peut titrer " Le gouvernement hésite toujours à désamianter Jussieu " (édition du 10 juillet 1996, article signé Michel Delberghe); en effet aucune décision globale n'a été prise ni même annoncée.
14 juillet 1996: le Président de la République, Jacques Chirac, déclare que la situation de Jussieu a assez duré et que " Il n'y aura plus d'étudiants à Jussieu d'ici la fin de l'année ".
La France entière peut ainsi croire à une volonté politique de régler (enfin) le problème de l'amiante à Jussieu et d'assurer rapidement le financement et la mise en oeuvre des travaux de décontamination.
15 juillet 1996: le Ministre de l'Education, François Bayrou annonce la création d'une mission Jussieu comprenant les syndicats de personnels et d'étudiants et le Comité Anti Amiante Jussieu, destinée à " préparer ensemble les décisions qui s'imposent ".
18 juillet 1996: première réunion de la "mission Jussieu" ; celle-ci se réunira trois fois : le 18 juillet, le 25 juillet et le 1er août.
3 août 1996: les syndicats de personnels et d'étudiants et le Comité Anti Amiante Jussieu se retirent de la mission Jussieu et font connaître par lettre leurs raisons au Ministre.
En effet, les travaux de cette "mission", organisée par le ministère, consisteront en des discussions sur divers projets de déménagements d'universités mais aucun travail sur l'organisation du désamiantage ne sera proposé à l'ordre du jour, aucun calendrier des travaux de décontamination ne sera discuté. Ce n'est qu'après le retrait du Comité Anti Amiante Jussieu et des syndicats de la mission Jussieu que seront entreprises les actions préalables qu'ils demandaient : lancement de l'appel d'offre pour la Maîtrise d'Oeuvre et proposition d'un calendrier réaliste pour le choix du programmiste et du Maître d'Oeuvre.
28 août 1996: dans une conférence de Presse, le Comité Anti Amiante Jussieu propose un plan et des solutions concrètes au désamiantage de Jussieu. Le désamiantage pourrait commencer au printemps 1997 et se terminer au début du printemps 1999.
4 septembre 1996: dans une lettre adressée à "Michel Parigot, Président du Comité Anti Amiante Jussieu et Mesdames et Messieurs les représentants de l'Intersyndicale de Jussieu", le Ministre de l'Education Nationale, François Bayrou, affirme que " L'Etat ne marchande ni ne discute sa responsabilité de santé publique " et que " le désamiantage complet du campus " sera effectué " dans les délais les plus rapides ", sans " préalable " ni " condition ".
En septembre 1996, on ignore combien de personnes ont contracté une maladie due à l'inhalation des poussières d'amiante à Jussieu et bien sûr combien de personnes vont développer ces maladies à retardement. On sait néanmoins que 20 cas de maladies professionnelles sont déclarées au titre du tableau 30 ("maladies professionnelles consécutives à l'inhalation de poussière d'amiante" ) parmi les personnels de Jussieu, 12 sont reconnues par l'administration, 8 sont en procédure de reconnaissance.
Toute l'ossature métallique de Jussieu est floquée à l'amiante ; toutes les variétés d'amiante sont présentes dans les flocages (les sacs d'amiante pur retrouvés en 1995 sont des sacs d'amosite ). Jussieu est ainsi l'un des plus grands bâtiments floqués au monde et probablement l'un des plus dangereux. Les principales sources de pollution sont les faux-plafonds qui dissimulent les poutrelles floquées et les armoires métalliques (gaines techniques) qui bordent les couloirs et dissimulent les poutrelles verticales floquées. La structure du bâtiment et les activités des laboratoires contraignent à des opérations fréquentes dans les faux-plafonds et les gaines techniques (électricité, conduite d'eau, câblage informatique, etc) qui engendrent un empoussièrement considérable.
Toutes les activités, que ce soit les activités ordinaires ou les opérations de nettoyage ou de maintenance provoquent des expositions importantes à l'amiante.
On a ainsi mesuré plus de 100 f/l (fibres par litres) lors de déménagements, plus de 1000 f/l lors de brossage de murs, plus de 10 000 f/l lors d'interventions dans les gaines techniques.
Le rapport INSERM de juin 1996, comme de nombreuses études qui ont été faites précédemment, indique que, pour ces valeurs, les risques induits sont élevés.
L'absence de travaux de protection définitifs (enlèvement de l'amiante) entraîne donc que des milliers de personnes sont soumises, dans le bâtiment de Jussieu, à des risques que personne ne sait mesurer mais dont tout indique qu'ils sont importants. A défaut, ou en attendant des travaux définitifs, des mesures de prévention ainsi qu'une information étaient clairement nécessaires ; pendant trop longtemps, elles n'ont pas été mises en place.
Pendant plus de 20 ans :
Le Comité Anti Amiante Jussieu est une association loi 1901 dont le but inscrit dans ses statuts déposés à la Préfecture de Police de Paris (n° d'enregistrement 1602, déclarée le 2 mars 1995, paru au J.O. du 29 mars 1995) est :
" L'élimination de la pollution par l'amiante du campus Jussieu et la réparation de ses conséquences éventuelles "
La jurisprudence reconnaît (ordonnance de référé du Tribunal de Grande Instance de Paris 1984, Ligue contre la violence routière) que :
" une Association déclarée est recevable à former une action civile destinée à assurer l'accomplissement et la défense de l'objet statutaire dont chacun de ses membres ou adhérents lui a confié la charge collective, et ce, indépendamment du préjudice personnel subi par chacun d'eux ou du préjudice social dont la réparation incombe aux seules diligences du Ministère Public.La conséquence nécessaire de la collation légale de la personnalité morale à une Association déclarée consiste en l'ouverture d'une action judiciaire, seule mesure de droit propre à assurer la réalisation effective des droits pour la défense collective desquels un pacte social a été spécialement conclu sur un objet spécifique déterminé et limité "
Par l'arrêt du 14 janvier 1971 (Association "Le réseau du souvenir" contre Le Pen), la Cour de Cassation indiquait notamment que " la recevabilité de son intervention découlait de la spécialité du but et de l'objet de sa mission "; ceci alors que la loi n'avait pas encore habilité les associations de résistants et déportés à agir.
Cette jurisprudence a été confirmée par la Cour de cassation, Chambre Criminelle, à propos de l'Association "Comité National Français contre le Tabagisme" (Cass. Crim. 7 février 1984, n° 82-90-338 Bull. Crim. n°41 page 110).
L'importance et la gravité des délits révélés par la présente plainte, le caractère d'intérêt public évident du but poursuivi par l'Association requérante, rendent indispensable la reconnaissance de la recevabilité de l'action entreprise par l'Association.
[...]
L'amiante est un matériau fibreux naturel dont les qualités d'isolant ont entraîné de multiples applications industrielles, notamment les flocages de bâtiments à structure métallique, destinés à assurer une résistance au feu. Ce procédé de flocage a été interdit en France en 1977 en raison de sa dangerosité. En effet, l'amiante est aussi un matériau extrêmement dangereux pour la santé : l'inhalation des fibres d'amiante provoque des fibroses et des cancers, fait connu depuis le début du siècle pour les fibroses et depuis les années 50 pour les cancers.
On distingue deux familles minéralogiques :
Les amphiboles sont généralement considérées comme plus dangereuses et leur emploi est prohibé en France depuis juillet 94. La fabrication, l'importation et la vente de produits contenant de l'amiante (chrysotile) sera interdit en France à partir du 1 janvier 1997 (annonce du Ministre du Travail, des Affaires Sociales et de la Santé, Jacques Barrot, le 3 juillet 1996)
Une caractéristique commune à ces pathologies est leur long temps de latence.
Les maladies reconnues comme "consécutives à l'inhalation de poussières d'amiante" (tableau 30 et 30 bis des maladies professionnelles) sont:
Asbestose: maladie connue depuis1906, preuve complète du lien avec l'amiante en 1930, reconnue en France depuis 1945 comme Maladie Professionnelle causée par l'amiante.
L'asbestose est une fibrose interstitielle du poumon provoquée par l'inhalation d'importantes quantités de fibres d'amiante. Elle se manifeste plusieurs années après le début de l'exposition ; elle provoque une insuffisance respiratoire puis cardiaque ; son évolution est irréversible, les soins palliatifs. L'asbestose était autrefois la première cause de mortalité chez les travailleurs de l'amiante : un article d'un inspecteur du travail, Auribault, décrit, dès 1906, les ravages de l'amiante parmi les ouvriers d'usines travaillant l'amiante. Le terme "asbestose" fut introduit plus tard. Le docteur Dhers, en 1930, décrit longuement dans le journal "La médecine du travail" les connaissances de l'époque et notamment l'étude épidémiologique de Merewether (Grande-Bretagne) prouvant que 80% des ouvriers employés dans une usine d'amiante plus de 20 ans étaient atteints d'asbestose.
L'asbestose est reconnu comme Maladie Professionnelle en France depuis 1945 (d'abord au même titre que la silicose puis sur un tableau distinct à partir de 1950). De nos jours, environ 200 cas d'asbestose par an sont reconnus en Maladie Professionnelle en France.
Fibrose pleurale: maladie connue vers 1955, preuve complète du lien avec l'amiante vers 1964, reconnue en France depuis 1985 comme Maladie Professionnelle causée par l'amiante.
Elles se présentent sous forme d'épaississement de la plèvre et de plaques pleurales souvent bilatérales. Considérées comme un "marqueur d'exposition" (à l'amiante), les plaques pleurales n'entraînent le plus souvent que peu d'incapacité respiratoire mais peuvent cependant entraîner des douleurs et avoir un retentissement sur les fonctions respiratoires. Le lien avec l'amiante a été établi durant les années soixante et les fibroses ou lésions pleurales sont reconnues comme Maladie Professionnelle en France depuis 1985. Plusieurs centaines de cas sont reconnus par an en France.
Cancer du poumon: le lien avec l'amiante fut soupçonné dès 1935, preuve complète en 1955, reconnu en France depuis 1976 comme Maladie Professionnelle causée par l'amiante.
C'est le cancer le plus fréquent parmi ceux causés par l'amiante. Le cancer du poumon ou broncho-pulmonaire est une maladie très grave qui reste le plus souvent mortelle et qui peut être causée par divers polluants comme le tabac et l'amiante. Le caractère cancérogène de l'amiante a été fortement suspecté dès les années trente, le cancer broncho-pulmonaire (en liaison avec une asbestose) est reconnu comme Maladie Professionnelle causée par l'amiante, depuis 1942, en Allemagne mais la preuve complète du point de vue épidémiologique a été apportée par l'étude de Doll (British Journal of Industrial Medecine, 1955). De nombreuses études épidémiologiques et des expérimentations animales ont depuis confirmé le rôle cancérogène de l'amiante.
On estime aujourd'hui que l'exposition à l'amiante peut, dans certains cas, multiplier par cinq le risque de cancer broncho-pulmonaire. En France, le cancer broncho-pulmonaire est reconnu comme Maladie Professionnelle causée par l'amiante, depuis 1976, associé à une asbestose ; en juin 1985, le tableau 30 a été modifié pour permettre de reconnaître le cancer du poumon lorsque "la relation avec l'amiante est médicalement caractérisée". Une telle restriction a été jugée contraire au principe de "présomption d'origine professionnelle de l'affection" et fait l'objet d'annulation par le Conseil d'Etat (décision du 10 juin 94). Le tableau 30 a été récemment modifié (décret du 22 mai 1996) et complété par un tableau 30 bis qui devrait permettre une plus juste reconnaissance des cancers du poumon causés par l'amiante.
Mésothéliome: le lien avec l'amiante est soupçonné vers1950, (la preuve complète donnée en 1960), reconnu en France depuis 1976 comme Maladie Professionnelle causée par l'amiante.
Le mésothéliome est un cancer primitif de la plèvre ou du péritoine ; c'est un cancer spécifique de l'amiante qui en est le seul facteur étiologique connu. Le lien avec l'amiante a été clairement démontré par Wagner en 1960 ; il a été confirmé par de nombreux travaux. La maladie entraîne des douleurs aiguës et le décès survient en moyenne dans les dix-huit mois. Le temps de latence est de 35 ans en moyenne. Le mésothéliome de la plèvre ou du péritoine est reconnu comme Maladie Professionnelle en France depuis 1976 ; il faut noter que la récente révision du tableau 30 (décret du 22 mai 1996) a annulé la mention restrictive "quand la relation avec l'amiante est médicalement caractérisée" qui était particulièrement absurde pour cette pathologie uniquement associée à l'inhalation de poussières d'amiante.
Les autres cancers. Plusieurs études épidémiologiques indiquent que l'amiante est également responsable d'excès de cancers du larynx et de cancers gastro-intestinaux (notamment Selikoff, 1964). Ces excès sont moins nets que pour les cancers du poumon et de la plèvre et sont débattus par les spécialistes. Néanmoins ils sont suffisamment significatifs pour que la Directive Amiante 83/477 de la Communauté Européenne indique le cancer gastro-intestinal comme maladie causée par l'amiante. Ces cancers ne figurent pas, pour le moment, au tableau 30 des maladies professionnelles " consécutives à l'inhalation de poussière d'amiante ".
Les épidémiologistes estiment qu'entre 2500 et 3500 décès par an sont imputables à des cancers provoqués par l'amiante en France (environ 1000 mésothéliomes et entre 1500 et 2500 cancers du poumon). Une récente étude INSERM donne comme plancher minimum 1950 décès par an en France.
La plupart des enquêtes épidémiologiques (Merewether, Doll, Wagner, Selikoff, Peto, etc) concernant l'amiante ont eu pour sujet des cohortes de travailleurs d'usines d'amiante ou la population entière d'un pays (Peto).
Le temps de latence très long des maladies causées par l'amiante (35 ans en moyenne pour le mésothéliome) explique qu'on ne dispose pas du recul suffisant pour pouvoir chiffrer les pathologies dans les populations occupant des bâtiments floqués à l'amiante (ou plus généralement contenant des matériaux à base d'amiante). On dispose néanmoins de plusieurs éléments permettant d'affirmer que le risque est important.
Tout d'abord des données existent déjà permettant d'affirmer que le risque est considérable pour les ouvriers chargés de la maintenance et du nettoyage : d'après Peto plus du quart des décès par mésothéliome en Grande-Bretagne survient chez des ouvriers du bâtiment (au sens large : maçon, couvreur, électricien, plombier, peintre etc). Une enquête de Anderson (USA) a établi qu'un tiers des agents de maintenance ayant plus de trente ans d'ancienneté, travaillant dans une école floquée, présentait des lésions pleurales. Dans une autre étude, Anderson recense 10 cas de mésothéliome parmi ces personnels n'ayant pas eu d'autre exposition à l'amiante.
L'épidémiologie indique aussi les deux faits suivants concernant le développement de maladies dues à l'inhalation de poussières d'amiante dans des conditions "environnementales" (proches de celles observées dans les bâtiments floqués) :
Dans les études de référence de Wagner (début des années 60), plus de la moitié des victimes de mésothéliome ne travaillait pas directement l'amiante mais vivait à proximité des mines du Cap (Afrique du Sud).
Une étude de Magnani (Italie) au voisinage d'une usine d'amiante-ciment montre que le plus grand nombre de victimes se trouve dans la population non exposée directement mais soumise ou à des pics de pollution ou à une exposition "environnementale" faible.
Une enquête de Boutin en Corse recense des cas de mésothéliomes environnementaux dus à la pollution engendrée par des roches contenant de l'amiante ; les concentrations dans l'air sont voisines de celles trouvées dans certains locaux floqués.
Ces données sont prises en compte depuis longtemps dans plusieurs pays et sont les arguments essentiels qui ont motivé l'interdiction totale d'utilisation de l'amiante et la prise de mesures cohérentes pour la décontamination des bâtiments contenant de l'amiante dans ces pays.
En France ces données sont prises en compte dans le décret "Travail" du 7 février 1996 qui abaisse la valeur limite d'exposition à l'amiante des travailleurs et impose qu'elle soit mesurée sur 1 heure (pour tenir compte des pics de pollution). Le décret "Santé" rappelle le risque dû aux flocages et calorifugeages et reconnaît enfin la nécessité de l'assainissement des bâtiments ; dans un bâtiment comme Jussieu, il rend obligatoire l'engagement de travaux de protection (déflocage ou encapsulage des parties amiantées), dans l'année qui suit le diagnostic.
Au cours de 1975, deux études sont menées sur la pollution par l'amiante à Jussieu.
L'une de ces études est effectuée par le LEPI (Laboratoire d'étude des particules inhalées) et donne lieu en avril 1975 à la publication d'un rapport intitulé " Etude de la pollution asbestosique dans les locaux des universités Paris VI et Paris VII ". Cette étude est complétée, en août 1975, par un rapport du professeur Jean Bignon sur les " notions actuelles sur la toxicité de l'amiante pour l'homme ".
L'autre est menée conjointement par l'INRS (Institut national de recherche et de sécurité) et le CERCHAR (Centre d'études et recherches des charbonnages de France). Elle conduit à la publication de deux rapports séparés: celui de l'INRS, en décembre 1975, intitulé " Résultats d'analyses de poussières prélevées dans les locaux des universités de Paris VI et Paris VII " et celui du CERCHAR, en janvier 1976, " Etude de la pollution par l'amiante dans les locaux de l'université Pierre et Marie Curie ".
Ces études se fondent sur l'analyse de prélèvements d'air réalisés dans les locaux des universités.
Elles mettent en évidence des niveaux importants de pollution par l'amiante à l'intérieur des locaux, soulignent les différentes sources de pollution et mettent en garde contre les risques de maladie, encourus par les personnels.
Cette étude a été " réalisée à la demande des Présidents [des universités] Messieurs les Professeurs Herpin et Alliot " (p. 1).
En 1975, on souligne déjà différentes causes pouvant entraîner une dégradation du flocage d'amiante du campus Jussieu : " Face à diverses agressions (vieillissement du matériau, altération du liant, érosion éolienne, chocs thermiques ou mécaniques, etc...), ces revêtements peuvent subir une dégradation, source de pollution par l'asbeste de l'air de ces locaux ". (p. 1).
Pour évaluer la pollution par l'amiante, le LEPI effectue 30 prélèvements d'air dans différents endroits du campus choisis en fonction " du type de revêtement en asbeste, ou du type d'activités régnant à l'intérieur de ces locaux " et les analyse par microscopie électronique.
Les résultats sont exprimés en nanogramme par m3 d'air prélevé et " l'erreur effectuée sur la concentration en utilisant cette méthodologie d'analyse est de l'ordre de 10 % "(p. 5).
Le LEPI souligne la " diversité de la pollution existant tant à l'échelle des différents lieux de prélèvements, qu'à l'échelle d'un local de même utilisation " (p. 5).
Le LEPI distingue deux modes de pollution par l'amiante : " l'émission du polluant à partir de sa source qui est le revêtement et la diffusion du polluant dans l'atmosphère. [...] En ce qui concerne l'émission, on a pu observer que des fibrilles très fines sont émises à partir du revêtement [...] Mais il a pu être constaté par des prélèvements spéciaux, que la dégradation du revêtement libérait également des particules sédimentables. " (p. 6). Ces particules se diffusent en deux temps : " sédimentation des produits de dégradation sur le sol, remobilisation de ces débris par le piétinement des usagers et l'activité (moteurs, courant d'air...) régnant dans les locaux " (p. 6).
Les effets de la dégradation du flocage et de l'activité dans les locaux, sur la pollution par l'amiante sont clairement mis en évidence dans ce rapport de 1975.
L'influence notable de l'activité sur la pollution par l'amiante est soulignée par un exemple significatif, " [...] l'atelier dans lequel deux prélèvements effectués en pleine période d'activité montrent une concentration de l'ordre de 500 à 700 ng de chrysotile / m3, tandis que deux autres prélèvements effectués après une période de vacances montrent cette fois un niveau de pollution beaucoup plus faible. Ces prélèvements ayant été faits dans un même local par une technique de prise d'air identique, on peut donc considérer que l'activité régnant dans le local est bien dans ce cas le facteur prédominant qui induit de telles différences. Les deux prélèvements effectués pendant les vacances dans les salles de cours, montrent pour la même raison, un très faible niveau de pollution " (p. 6-7).
Le LEPI écrit que l'importance de la pollution par l'amiante " dépend essentiellement de la qualité du revêtement (qualité du ciment liant les fibres entre elles), de la surface soumise à l'érosion éolienne, des conditions de ventilation et de chauffage, mais aussi du type d'activités effectuées dans les locaux. " (p. 7).
Les prélèvements d'air effectués par le LEPI montrent donc des niveaux de pollution par l'amiante qui varient selon les facteurs énoncés précédemment. Ainsi, les prélèvements effectués dans les salles de cours montrent des concentrations " faibles (1,2 et 1,7 ng/m3) ". Mais, le LEPI souligne que " ces prélèvements ne sont pas représentatifs dans la mesure où ils ont été réalisés en période de congés scolaires dans des locaux déserts " (p. 8). Par contre, les prélèvements effectués dans les laboratoires, " toujours réalisés en période d'activité et avec une utilisation normale des locaux " montrent des concentrations qui " varient de 4 à plus de 200 ng de chrysotile par m3 d'air " (p. 7). De même, des prélèvements effectués dans des bibliothèques montrent des concentrations " importantes (420 et 680 ng/m3) " (p. 8). La tour centrale où " les locaux sont climatisés et ventilés en permanence " est également mise en exergue, avec des " concentrations pouvant atteindre 30 ng/m3 " (p. 8). La pollution par l'amiante la plus élevée est retrouvée dans un atelier où les prélèvements " ont montré des concentrations très importantes (750 ng/m3). " (p. 8).
Enfin, le LEPI souligne dès cette époque, la diffusion de la pollution par l'amiante sur l'ensemble du campus, y compris dans l'atmosphère extérieure : " Les prélèvements réalisés en ambiance extérieure montrent une concentration relativement constante de l'ordre de 2 nanogrammes par m3. Il faut remarquer que cette concentration est légèrement supérieure au niveau général de pollution de Paris " (p. 9).
En conclusion de ce rapport, le LEPI indique que la " comparaison des concentrations avec celles de l'industrie de l'asbeste n'est pas possible car les fibres sont trop finement séparées pour être visibles au microscope optique ; or la législation actuellement en vigueur pour le contrôle des pollutions asbestosiques impose l'usage du microscope optique. [...] Néanmoins, au microscope électronique, qui permet de voir les fines particules qui sont le plus facilement inhalables, certains niveaux de pollution peuvent paraître importants dans la mesure où ils représentent environ 1000 fois les niveaux de pollution que l'on rencontre généralement en pollution atmosphérique extérieure des grands centres urbains " (p. 10).
En août 1975, à la demande du Président de l'Université, le Professeur Jean Bignon remet un rapport très détaillé, qui fait le point sur les " notions actuelles sur la toxicité de l'amiante pour l'homme ".
Dans ce rapport, s'appuyant sur les résultats d'enquêtes épidémiologiques, le Professeur Jean Bignon recense les risques que l'amiante fait courir aux travailleurs de l'industrie et cherche à évaluer ceux auxquels sont exposés les occupants des bâtiments floqués à l'amiante.
Jean Bignon rappelle tout d'abord les résultats bien connus concernant les travailleurs de l'industrie de l'amiante : " des enquêtes épidémiologiques dans l'industrie de l'amiante (ou asbeste), appuyées par des résultats expérimentaux, ont démontré pendant les trois dernières décennies que l'inhalation de fibres d'amiante par l'homme était susceptible de donner des manifestations pathologiques de 3 ordres " (p.1).
Ces maladies sont les " fibroses interstitielles " qui conduisent à " une gêne aux échanges gazeux et secondairement une insuffisance respiratoire ", les " lésions bénignes de la plèvre [...] qui ont une morbidité modérée mais qui peuvent répondre à des stades pré-cancéreux ", les " cancers du poumon, de la plèvre et du péritoine (mésothéliomes) ou du tube digestif " (p. 1).
Jean Bignon évoque ensuite les difficultés d'évaluation du " risque toxique pour l'homme de l'inhalation de doses faibles d'amiante dans l'environnement " (p. 1).
Une des difficultés réside dans la longueur des temps de latence " entre l'exposition et l'apparition des manifestations pathologiques en rapport avec l'amiante, le risque encouru par la population générale ne s'extériorise que dans 10 à 40 ans " (p. 1).
Jean Bignon estime néanmoins que compte-tenu de " la découverte récente d'un type nouveau de pollution asbestosique à l'intérieur des locaux d'habitation (comme c'est le cas au Centre Jussieu/St Bernard) produit par la dégradation des revêtements antifeu en amiante ", il est " urgent de définir le seuil de toxicité de l'amiante pour l'homme, notamment en ce qui concerne le risque de cancer " (p.2).
Pour préciser ces points, Jean Bignon, examine la question de la " relations dose-effet " (p.2), pour laquelle, il faut distinguer le cas des fibroses de celui des cancers.
Pour les fibroses, Jean Bignon explique que " des études expérimentales et des études anatomo-cliniques chez l'homme indiqueraient que le degré de fibrose est proportionnel à la charge en fibres d'amiante avec une dose seuil au-dessous de laquelle la fibrose est minime ou absente " (p. 3).
Jean Bignon n'exclut toutefois pas le risque d'apparition de fibrose pulmonaire " pour de faibles doses d'amiante [...] si l'on tient compte de certaines observations récentes de fibrose humaine associée à la présence de microfibrilles de chrysotile " (p. 11).
Le problème ne se pose pas dans les mêmes termes pour les cancers. Jean Bignon rappelle tout d'abord que " tous les types commerciaux d'asbeste, à l'exception peut-être de l'antophyllite, sont susceptibles de donner des cancers du poumon et de la plèvre. Cependant, il semblerait exister une hiérarchie des différents asbestes dans le pouvoir cancérigène, notamment au niveau de la plèvre. Le risque de mésothéliomes serait le plus important avec le crocidolite puis ensuite viendraient l'amosite et le chrysotile " (p. 5).
Jean Bignon souligne le risque de mésothéliome induit par des expositions faibles à l'amiante : " pour les mésothéliomes, il y a de plus en plus de preuves indiquant que ce type de tumeurs peut survenir pour des expositions modérées, voire faibles, à l'amiante, beaucoup moins importantes que celles qui donnent l'asbestose. Le risque de cancers asbestosiques en rapport avec l'environnement apparaît de plus en plus probable après l'observation de mésothéliomes chez des sujets seulement exposés au voisinage d'une usine d'amiante ou au contact d'un membre de la famille du travailleur de l'amiante " (p.7-8)
Jean Bignon donne dans ce rapport plusieurs résultats d'enquêtes épidémiologiques qui montrent les risques de mésothéliome en rapport avec une exposition faible à l'amiante, et estime que " ces cas de mésothéliomes paraissant en rapport avec la pollution de l'environnement par l'asbeste sont très préoccupants " (p. 8).
Ces résultats sont confirmés par des travaux qui " démontrent que de nombreux cas de mésothéliomes s'observent avec concentrations intra-pulmonaires, modérées ou faibles, de fibres d'amiante voisines de celles que l'on observe dans les poumons de nombreux citadins " (p. 8).
Jean Bignon conclut donc qu'il n'y a pas de relation précise dose-effet pour les cancers provoqués par l'amiante : " des doses faibles de chrysotile sont suffisantes pour induire la transformation maligne de cellules mésothéliales de la plèvre, ainsi, la cancérogénèse par l'amiante, sans dose oncogène seuil, obéirait-elle aux lois générales de la cancérogénèse chimique ou physique " (p. 8).
Pour tenter d' évaluer la quantité de fibres d'amiante inhalées par les occupants des bâtiments floqués avec ce matériau, Jean Bignon s'interroge sur la méthode la plus adéquate.
Deux méthodes de mesures coexistent à l'époque : celle adoptée par les " hygiénistes industriels [qui] tolèrent jusqu'à 2 fibres par ml d'air visibles au microscope optique " et celle adoptée par les " hygiénistes de l'environnement [qui] font leur mesure au microscope électronique et expriment leur résultat par nombre de microfibrilles (et non plus de fibres) ou par unité pondérale d'asbestes par m3 d'air " (p. 9).
Jean Bignon explique pourquoi les normes industrielles sont inadaptées pour mesurer les risques encourus dans les bâtiments floqués à l'amiante : elles " ont été décidées par rapport au risque de fibrose asbestosique [et] ne sauraient en aucun cas fournir des indications sur le risque de cancer, étant donné l'absence de relation précise dose-effet cancérigène " ; de plus, " ces normes industrielles ne prennent pas en compte les pollutions par les fibres infra-microscopiques, qui sont les plus facilement inhalables " (p. 9).
Pour Jean Bignon, il est cependant possible de " comparer les taux d'amiante les plus forts observés au Centre Jussieu/St Bernard à ceux observés dans certaines industries de l'amiante " en considérant " qu'à partir de 1000 nanogrammes d'asbeste /m3 d'air, on se trouve dans des concentrations du type pollution industrielle " (p.9).
Les conclusions de Jean Bignon en ce qui concerne les risques courus par les occupants du campus Jussieu sont claires :
" Compte tenu de l'observation de pics élevés de pollution atmosphérique (jusqu'à 800 ng/m3) dans certains locaux de Paris VII, concentrations pouvant approcher celles observées en ambiance industrielle ; et bien que le risque réel encouru à ce niveau de pollution soit pour le moment impossible à déterminer, il paraît difficile d'accepter de laisser le personnel et les étuis VII, concentrations pouvant approcher celles observées en ambiance industrielle ; et bien que le risque réel encouru à ce niveau de pollution soit pour le moment impossible à déterminer, il paraît difficile d'accepter de laisser le personnel et les étudiants de Paris VII travailler dans de telles conditions d'insécurité pour leur santé. " (p. 12-13).
Il suggère même des solutions :
" Plusieurs équipes étudient actuellement ce problème aux USA et également en France (Bureau de Recherches Géologiques et minières -Orléans). La meilleure solution, à la fois non polluante et la plus économique serait de recouvrir le "flocage mou" en amiante par un matériau ignifuge, à coefficient d'érosion nul et non inflammable " (p.13)
Plus de vingt ans après, aucun traitement global de l'amiante en place n'a été effectué à Jussieu, et les premiers cas de maladies liées à l'amiante apparaissent.
Ce rapport, daté de décembre 1975 fait suite à une étude menée conjointement par l'INRS et le CERCHAR, " à la demande de Monsieur le Président de l'Université Pierre et Marie Curie (Paris VI) " (p. 1).
Le rapport du LEPI a dû paraître alarmant à certains responsables administratifs, à tel point ...qu'ils ont demandé très peu de temps après, à d'autres laboratoires d'effectuer d'autres prélèvements, dans l'espoir peut-être d'obtenir des résultats plus rassurants. C'est en tout cas ce qu'indique assez clairement l'INRS, en introduction de son rapport sous le titre " but poursuivi " : " Ces prélèvements font suite aux mesures effectuées en 1974 par le Laboratoire d'Etude des Particules Inhalées qui avait utilisé dans les locaux de l'Université une technique utilisée en pollution urbaine. Ces essais ont mis en évidence des niveaux d'empoussièrement exprimés en nanogrammes d'amiante par m3 qui ont paru excessifs . C'est pourquoi l'INRS et le CERCHAR ont procédé à des prélèvements et des analyses selon des méthodes habituelles en hygiène industrielle " (p. 1). Malheureusement, les conclusions de l'INRS, rejoignent celles du LEPI, et ne laissent subsister aucun doute sur l'importance de la pollution par l'amiante à Jussieu.
Ce rapport se base comme celui du LEPI sur des prélèvements d'air, qui cette fois-ci " ont toujours été effectués pendant une activité normale de l'atelier ou du laboratoire " (p. 3). Ces prélèvements ont étés effectués en huit endroits différents.
Par ailleurs, des " échantillons d'amiante et de poussières déposées sur les appareils et le mobilier ont été prélevés dans le but d'identifier la forme minéralogique de l'amiante rencontré " (p.7). L'analyse de ces échantillons montre que " l'on rencontre toutes les variétés minéralogiques habituelles (chrysotile, amosite, crocidolite) " (p. 10).
Les prélèvements d'air ont été analysés selon plusieurs méthodes, dont la microscopie optique, méthode utilisée en milieu industriel, ce que n'avait pas fait le LEPI.
Avec la microscopie optique, on dénombre des fibres (> 5µ) par litre d'air. L'INRS trouve ainsi, selon les endroits, de 2,3 à 19,3 fibres par litre (p. 8). Pour pouvoir comparer ses résultats avec ceux du LEPI, l'INRS évalue également la concentration pondérale en amiante, et parvient alors à des résultats très proches de ceux du LEPI : " la concentration pondérale en amiante dans les locaux de Paris Jussieu varie de 200 à 1700 ng/m3. En moyenne elle est égale à 700 ng/m3 " (p. 13)
Il est à noter que les concentrations les plus élevées trouvées par l'INRS sont même supérieures à celles trouvées par le LEPI (1700 ng/m3 au lieu de 750 ng/m3), alors que les résultats du LEPI paraissaient " excessifs " avant l'étude INRS-CERCHAR.
L'INRS n'ayant fait des prélèvements que dans huit endroits, écrit que " ces résultats ne donnent pas nécessairement une image représentative de l'ensemble des locaux examinés ". Il précise cependant que certains locaux " ne se particularisant en rien (absence de vibrations, sols et murs propres, faux plafonds non déplacés, activité normale...) ont été l'occasion de prélèvements renfermant une quantité d'amiante très supérieure à celle que l'on rencontre dans le milieu urbain " (p. 15).
Enfin, les fiches détaillant les locaux dans lesquels les prélèvements ont été effectués, montrent que le simple examen visuel des lieux indique déjà en 1975 que le flocage est par endroits très dégradé : par exemple, " amiante très endommagé au niveau des étagères et du monorail " (12-13 R.C., p. 26) ou " faux plafond enlevé, amiante très dégradé " (55-65, 1er étage, p. 27) ou encore " amiante dans les placards, endommagé " (44-45, 3e étage, p. 28).
Les résultats de l'INRS confirment donc ceux du LEPI, et dès 1975, l'on pouvait juger alarmante la pollution par l'amiante à Jussieu et prendre les mesures qui s'imposaient.
S'il en était besoin, le rapport du CERCHAR, confirme les deux rapports précédents et ses conclusions sont encore plus explicites.
Ce rapport commence par mettre en avant l'état de dégradation du revêtement en amiante, sur " la chape de béton au plafond du niveau St-Bernard, sur les poutrelles IPN horizontales et verticales constituant l'ossature des bâtiments et sur certaines conduites " (p. 1).
Le rapport parle de lui-même :
" Les revêtements au plafond du rez-de-chaussée présentent des états de conservation variables : les uns apparaissent en parfait état, d'autres ont été détériorés par des chocs ou par des travaux destinés à fixer au plafond diverses installations. Dans certains cas, des fragments du revêtement pendent du plafond. Les poutrelles IPN verticales, enfermées dans des placards dont les portes ne sont pas condamnées, sont recouvertes d'un flocage mou de faible résistance mécaniqueCe revêtement est généralement détérioré, dans des proportions variables, par la manipulation des objets entreposés dans les placards.
Les poutrelles horizontales sont isolées des locaux et couloirs par un faux plafond constitué de plaques métalliques perforées au-dessus desquelles sont installés les serpentins de chauffage. Après ablation des plaques perforées, on constate dans plusieurs cas que les serpentins sont recouverts d'une fine bourre qui pend au-dessus des plaques. Dans certains locaux et couloirs, des plaques sont enlevées et les poutrelles sont visibles " (p. 1).
Dix ans après le début de la construction de Jussieu, les flocages sont donc déjà dégradés. On se doute, qu'en l'absence de mesures radicales, la situation ne s'est pas améliorée depuis. Or la dégradation des flocages augmente la pollution par l'amiante.
Comme l'INRS, le CERCHAR analyse des échantillons d'amiante prélevés sur les revêtements et constate la présence des différentes variétés d'amiante : " Les fibres d'amiante sont constituées par du chrysotile et par des amphiboles. Ces mêmes variétés minéralogiques ont été identifiées dans les revêtements des plafonds et des poutrelles métalliques, dans lesquels l'analyse révèle la présence de deux sortes d'amphiboles : l'amosite et le crocidolite " (p. 8).
Par ailleurs, le CERCHAR effectue six prélèvements d'air et les analyse par microscopie électronique. Il analyse également en microscopie optique les prélèvements effectués par l'INRS.
L'analyse des mêmes prélèvements d'air que l'INRS, conduite selon la même méthode, donne des " valeurs peu différentes en général " (p. 6) : Le CERCHAR indique que " les teneurs les plus élevées ont été trouvées dans le magasin général du rez-de-chaussée 12-13, ainsi que dans le couloir du laboratoire de chimie 44-45, 3ème étage : environ 20 fibres par litre. Cette valeur correspond au centième de la concentration maximale admise dans l'industrie de l'amiante [à l'époque]. Par contre, elle est environ trois fois supérieure à la concentration mesurée à Paris, Place de la République, à proximité de feux de signalisation, c'est-à-dire dans une zone de freinage, aux périodes de circulation importante " (p. 6).
Le CERCHAR met en garde contre la seule analyse par microscopie optique (en vigueur dans l'industrie) : " [...] Le fait de ne pas tenir compte des fibres invisibles au microscope optique par suite de leur faible diamètre ne paraît reposer actuellement sur aucune base scientifique solidement établie "(p. 8-9).
" La microscopie électronique apporte un correctif important à ces données de la microscopie optique. Elle fait apparaître tout d'abord qu'une certaine proportion de fibres > 5 µm peut échapper au comptage optique. [...] Mais la constatation la plus importante concerne les agrégats. [...] Ces agrégats, fréquents dans le cas du chrysotile, plus rares dans le cas des amphiboles, peuvent ne comporter que quelques fibres mais le plus souvent ils en contiennent plusieurs dizaines ou centaines. Ces agrégats pouvant, après inhalation, se disperser dans les poumons en libérant les fibres unitaires, il y a lieu d'en tenir compte dans l'appréciation du risque. [...] On constate ainsi que les agrégats, lorsqu'il en existe, représentent dans tous les cas un nombre de fibres beaucoup plus élevé que les particules libres " (p. 6-7).
La prise en compte de ces agrégats de fibres conduit à des concentrations plus importantes : " Il existe dans les locaux de Paris VI une concentration en fibres d'amiante atteignant des valeurs supérieures à 1000 particules par litre d'air " (p. 9). Le niveau le plus élevé est constaté dans une gaine technique où le CERCHAR trouve environ 10 000 fibres par litre (p. 7).
Le CERCHAR, dans ses conclusions, souligne la diffusion de la pollution par l'amiante sur l'ensemble du campus : " Bien qu'il apparaisse qu'un revêtement en un point déterminé soit généralement constitué par une seule variété d'amiante, on trouve fréquemment dans l'atmosphère d'un même local des fibres de plusieurs variétés, ce qui montre que la pollution n'est pas due uniquement au revêtement propre au local considéré mais également à des revêtements situés en d'autres points et dont les particules sont entraînées par la ventilation et les autres mouvements de l'air. Il en résulte que l'absence de dégradation du revêtement dans un local ne met pas ce dernier entièrement à l'abri de la pollution " (p. 8).
Cela dit, il ne fait aucun doute pour le CERCHAR, que la dégradation du flocage ne peut qu'augmenter la pollution par l'amiante : " La teneur la plus élevée a été mesurée dans un local dont le plafond a été dégradé par la pose d'une installation. Il s'avère ainsi qu'une dégradation progressive des revêtements aurait sans nul doute pour conséquence d'accroître la pollution " (p. 8).
Le CERCHAR met également en évidence la " possibilité d'une pollution occasionnelle ", notamment lors de l'ouverture des gaines techniques, souvent utilisées comme "placards", par les personnels de Jussieu : Ainsi, " lors d'une manipulation d'objets entreposés dans un placard. Une dégradation, en l'occurrence faible, du revêtement d'une armature métallique verticale située dans ce placard donne lieu au cours de cette opération à la mise en suspension de fibres d'amiante en quantité nettement plus grande que celles qui correspondent aux concentrations moyennes dans les laboratoires. L'importance de ce phénomène est aggravée par le fait que dans plusieurs cas l'intérieur des placards communique avec les laboratoires par des ouvertures pratiquées dans la cloison " (p. 9).
Enfin et surtout, le CERCHAR met en garde contre les risques de maladie encourus par le personnel des universités de Jussieu du fait de la pollution par l'amiante du campus. Le CERCHAR différencie même les risques selon les pathologies. Ainsi, compte tenu des concentrations d'amiante constatées, il estime improbable le risque d'asbestose : " Si l'on compare les valeurs trouvées à la limite de concentration admise dans les industries de l'amiante, on constate qu'elles lui restent inférieures dans un rapport au moins égal à 100. Sachant que cette limite correspond à une probabilité pratiquement nulle de développement d'une asbestose, il apparaît comme hautement improbable qu'un risque de fibrose pulmonaire de type asbestosique puisse exister pour le personnel de l'Université " (p. 8).
Par contre, le CERCHAR souligne le risque pour le personnel de développer un mésothéliome : " les déterminations effectuées au microscope optique selon les normes recommandées pour le contrôle de la pollution industrielle sont insuffisantes pour déterminer certains autres risques dus à l'inhalation de fibres d'amiante, notamment le risque de cancer primitif de la plèvre. Les études épidémiologiques ainsi que des analyses de poumons humains tendent en effet à montrer que ce risque n'est pas négligeable, même pour des quantités de fibres d'amiante inhalées relativement faibles " (p. 9).
Les conclusions du CERCHAR sont encore plus explicites et auraient dû conduire les responsables à prendre les mesures qui s'imposaient dès 1976 :
" En conclusion, sachant que les connaissances actuelles ne permettent pas de définir une concentration limite garantissant l'absence de risque de mésothéliome pleural dû à l'inhalation de fibres d'amiante, les quantités de fibres trouvées dans l'atmosphère des locaux de l'Université Pierre et Marie Curie doivent être considérées comme inacceptables. " (p. 9).
Conclusion sur les rapports de 1975-1976:
Il y a vingt ans, les autorités disposaient donc de rapports soulignant les niveaux élevés et alarmants de pollution par l'amiante à Jussieu, quelle que soit la méthode d'analyse retenue.
On constatait déjà la dégradation du flocage d'amiante, source de la pollution. La diffusion de la pollution par l'amiante à l'intérieur des locaux et même dans l'atmosphère extérieure du campus, était mise en évidence, toutes les variétés d'amiante (amphiboles et chrysotile) étant retrouvées dans les prélèvements effectuées.
Certains facteurs aggravant cette pollution étaient repérés : activité dans les locaux, courants d'air, etc.
Le CERCHAR montrait même l'existence de pics de pollution, à l'occasion de l'ouverture des gaines techniques.
Enfin, on attirait l'attention des autorités sur les risques de pathologies graves dues à l'amiante, encourus par les personnels de Jussieu. Le professeur Bignon proposait même des solutions techniques pour diminuer les risques.
En janvier 1982, la SETEC remet une note de travail sur : l'hygiène et la sécurité dans les deux universités Paris 6 et Paris 7.
Cette étude a pour but de recenser " les risques potentiels sur l'ensemble universitaire " (p. 3). La SETEC rappelle d'abord que le campus Jussieu est inachevé, " les dernières tranches de travaux ont été annulées [...] " ce qui contribue " également à l'insécurité de l'ensemble " (p. 8).
L'étude des " risques dus à la présence de l'amiante " ne constitue qu'une petite partie de ce rapport.
La localisation de la présence d'amiante effectuée par la SETEC, montre que presque rien n'a été fait depuis 1976 : l'amiante est toujours " en tour centrale (niveau Jussieu, niveau en élévation au-dessus du niveau Jussieu, bâtiments du gril (niveau Jussieu, niveaux supérieurs du gril au-dessus de la dalle Jussieu) " (p. 20).
Comme dans les études précédentes, l'accent est mis sur la pollution liée à la dégradation du flocage d'amiante, le " revêtement de feutre d'amiante, ayant tendance à se désagréger et à émettre des particules en suspension dans l'air " (p. 20).
Cette pollution, " du fait du peu de cohésion du revêtement ", passe par " les joints des panneaux d'obturation des gaines (panneaux de fermeture en tôle pliée dans le gril), les perforations des faux plafonds dans les laboratoires des grils, prévus pour assurer le chauffage par le plafond " (p. 21).
La SETEC relève l'attitude des personnels les plus " sensibilisés " au risque amiante, qui ont tenté de se protéger, avec les moyens du bord : ils " ont procédé dans leurs laboratoires à des protections que l'on ne peut considérer que comme provisoires : bouchage des joints de gaine par papier autocollant, bouchage et étanchéité des faux-plafonds par peinture épaisse " (p. 21).
La SETEC souligne déjà les difficultés de fonctionnement dans un bâtiment floqué à l'amiante, quand des mesures de sécurité élémentaires sont prises face à ce risque : " il faut noter que, actuellement, le traitement des revêtements en amiante, reste un préalable à des interventions : de maintenance et d'entretien, de modifications d'installations en gaines ou en faux-plafonds, d'amélioration de la sécurité. En effet, les interventions nécessaires dans les gaines ou dans les faux-plafonds, par suite de l'ouverture de ces éléments, entraînent un accroissement du taux de particules en suspension dans l'air. D'autre part, ces interventions sont maintenant impossibles dans les volumes fermés provisoirement, et en attente de traitement définitif, pour certains laboratoires " (p. 21-22).
Malheureusement, en 1996, la quasi-totalité du campus Jussieu attend toujours ce " traitement définitif ", les " chantiers pilotes " dont parle la SETEC n'ayant pas été suivis par un chantier concernant l'ensemble du campus : " Le problème de l'amiante a été étudié par le SCARIF et des méthodes de traitement ont été définies puis essayées sur des chantiers pilotes. C'est ainsi que certaines zones ont été totalement traitées (plafonds de certains accès de rotondes au niveau St Bernard dans le gril) " (p.22).
Alors que le rapport de la SETEC souligne la pollution élevée par l'amiante, notamment lors de l'ouverture des gaines techniques, on apprend lors de remarques relatives au risque incendie, que le personnel du campus utilise toujours ces gaines comme si c'étaient des placards : " [...] certains laboratoires ont pris l'habitude d'utiliser les surfaces disponibles dans les gaines donnant sur les couloirs pour y entreposer : soit des débris et détritus des chantiers divers, soit des produits utilisés dans les laboratoires ; dans ce dernier cas les fermetures des gaines sont souvent transformées en portes (non coupe-feu) et les parties libres des gaines transformées en placards et équipées d'étagères. " (p. 32-33).
L'utilisation des gaines techniques " comme dépôt d'objets hétéroclites [...] est rendue possible par le fait que la plupart des portes métalliques des gaines ne sont pas fermées à clefs, en particulier, les gaines verticales des rotondes de l'université Paris VI. Il est à noter à ce sujet que les gaines verticales des rotondes de l'université Paris VII ont été munies de portes fermant à clefs " (p. 38). On peut ajouter que munir de clefs les portes des gaines techniques, n'empêche pas les personnels qui les ouvrent, de courir des risques d'expositions intenses à l'amiante, en l'absence de protection et même d'information sur les risques encourus.
Le rapport de la SETEC rappelle, une fois de plus, certaines situations de risques importants liés à la présence d'amiante, comme les travaux de maintenance et d'entretien, et l'utilisation des gaines techniques comme placards. Avant 1996, ce rapport n'a pas été suivi d'effet, en ce qui concerne les mesures de sécurité élémentaires à prendre en présence d'amiante. Quant au traitement définitif du problème de l'amiante, on sait ce qu'il en est advenu.
A la demande du SCARIF, le BRGM " a été chargé de réaliser une campagne de mesures de pollution par l'amiante sur le campus Jussieu " (p. 2).
Comme lors des études précédentes, des prélèvements d'air ont été faits, cette fois-ci dans 21 endroits. Ils ont été analysés à la fois en microscopie électronique et en microscopie optique.
Contrairement aux rapports précédents, celui du BRGM donne peu d'indications générales, mais détaille les résultats par local où les prélèvements ont été effectués.
Le BRGM rappelle la réglementation en vigueur dans l'industrie ( 2 fibres /cm3 depuis le décret du 18 août 1977), et les recommandations du Conseil Supérieur d'Hygiène " qui fixe à 50 ng/m3, la concentration pondérale à partir de laquelle, dans les locaux floqués notamment, des mesures de protection du flocage doivent être prises " (annexe).
Notons que cette valeur critique, qui fut reprise par la suite par le Comité Permanent Amiante sous la forme de 25 fibres par litre est indiquée dans la circulaire DGS du 15 septembre 1994 comme n'ayant " aucune signification en matière de toxicité ".
Les résultats des prélèvements effectués par le BRGM, montrent une concentration pondérale en amiante qui va de 1 à 110 ng/m3 selon les endroits, et une concentration numérique qui va de 13 à 39 fibres par litre (p. 6).
A travers les quelques locaux où ont été effectués les prélèvements, on peut faire certaines constatations.
Tout d'abord, ce rapport confirme que l'on rencontre bien toutes les variétés d'amiante (amphiboles et chrysotile) à Jussieu.
Dans les lieux étudiés qui sont censés avoir subi un " traitement définitif ", c'est-à-dire un " traitement par enduction dont l'efficacité n'est pas contestable " selon le BRGM, on trouve néanmoins de l'amiante dans l'air : c'est le cas en Tour centrale, 8e étage (prélèvement J 2 : 22 fibres par litre), en 44-54, 4e étage (J 4 : 18 f/l et 15 ng/m3), en tour 44 RDC (J7 : 16 f/l et 10 ng/m3), en 13-23 RDC (J 10 : 31 f/l).
Pour certains de ces lieux " traités ", le BRGM considère que cette pollution est " inattendue ", mais ne s'interroge malheureusement pas sur l'efficacité du dit traitement.
On se doute que si le BRGM trouve une pollution par l'amiante dans des lieux où des mesures, à l'évidence pas très efficaces ont été prises, cette pollution est encore plus grande dans les endroits (majoritaires sur le gril), où strictement rien n'a été fait pour tenter de réduire la pollution par l'amiante.
C'est ainsi qu'en 43-44, 3e étage (J 8), le BRGM dénombre 19 fibres par litre et 80 ng/m3 (dont 10 ng/m3 d'amphiboles). Le BRGM commente " Par suite des différences de natures de flocage selon les lieux, la concentration en amiante peut varier de manière notable. Cependant, par référence à d'autres situations semblables, l'ensemble du laboratoire présente sans doute un niveau de pollution critique. Dans un premier temps, ce niveau serait sensiblement amélioré par un nettoyage minutieux des locaux, accompagné de la réfection du faux-plafond ".
En 33-43, 1er étage (J 11), le BRGM trouve 28 f/l et 61 ng/m3 (dont 60 d'amphiboles). Le BRGM note : " A cet étage, le flocage n'a subi aucun traitement. Dans les gaines techniques du couloir, on peut observer le flocage nu, parfois dégradé, avec des débuts de décollement. Le faux-plafond est en général constitué de plaques métalliques ajourées, parfois pleines " et conclut " De toute évidence, les fibres d'amphibole proviennent du flocage qu'il importerait de protéger, dès lors que les prélèvements dans des circonstances peu empoussiérées montrent néanmoins une concentration importante en amphiboles fibreuses ".
En 22-32, 3e étage (J 17), le BRGM trouve 22f/l et 110 ng/m3 d'amphiboles. Il constate l'état de dégradation du lieu : Dans la pièce 30, " une plaque de faux-plafond est manquante ; [...] Dans le couloir, les portes ouvrant sur les tours 22 et 32 sont ouvertes, cause d'un léger courant d'air. Les portes de certaines gaines techniques sont cassées ; le flocage posé sur les parois verticales est alors directement en contact avec le couloir. " Il note des facteurs aggravant la pollution : " La dégradation du flocage peut être accentuée par les faits constatés suivants : infiltration d'eau provenant de l'étage supérieur, vibrations du plafond, dues aux activités de laboratoires des niveaux supérieurs. " Le BRGM conclut : " [...] ces fibres sont essentiellement de l'amphibole fibreuse. La pollution par cet amiante est élevée et traduit de toute évidence une dégradation continue du flocage ".
En 13-14, 4e étage (J 18), le BRGM compte 39 f/l et 13 ng/m3 (dont 12 d'amphibole). Le prélèvement a eu lieu en période d'inactivité et le BRGM commente : " la pollution par l'amphibole fibreuse est faible, mais significative. Selon les circonstances des prélèvements, le niveau de concentration pondérale peut subir de fortes variations, par suite de la remobilisation des fibres sédimentées. " Enfin, dans un lieu qui a fait l'objet d'un " traitement provisoire sur le faux-plafond ", le GPS, en 23-24, 3e étage (J 12), le BRGM dénombre cependant 12f/l et commente : " Les locaux apparaissent peu empoussiérés [...] Ceci permet de penser qu'un traitement provisoire est efficace et durable après le dépoussiérage dès lors que l'accès au faux-plafond n'est pas trop fréquent ".
Ainsi, au détour des lieux visités par le BRGM, et bien que celui-ci ne tire aucune conclusion générale de cette étude on peut noter que le flocage d'amiante continue de se dégrader, ce qui n'est pas surprenant, qu'il engendre une pollution notable, que cette pollution peut être aggravée par différents facteurs tels l'activité dans les locaux, les vibrations, le manque d'entretien (plaques de faux-plafond manquantes) et le manque de mesures de sécurité élémentaires (gaines techniques toujours ouvertes).
En 1993, le LEPI publie sous le titre " La pollution par l'amiante à Jussieu, la situation en 1989 " les résultats d'une nouvelle campagne de prélèvements d'air, effectuée en 1989.
Le LEPI commence par rappeler les risques de pathologies graves dues à l'amiante : " on s'est aperçu que les risques de cancers du poumon ou de mésothéliomes dépassent le cadre strictement professionnel, et peuvent être induits par des expositions environnementales, comme la pollution à proximité d'une mine ou d'une usine, ou la contamination de la famille par un travailleur de l'amiante " (p. 1). Les références bibliographiques auxquelles renvoie cette constatation, remontent à 1965.
Le but de cette étude est de " réévaluer la contamination des locaux par l'amiante 15 ans après " la première étude effectuée par le LEPI (p. 2), qui " avait révélé l'existence d'une pollution significative de l'air par des fibres d'amiante. Cette pollution provenait de la dégradation des matériaux de flocage à base d'amiante " (p. 1).
A cet effet, 22 prélèvements d'air sont effectués, dont 15 sur des sites analysés en 1989, alors que " de 1975 à 1977, 64 sites avaient été étudiés " (p. 2). Sur la base de la microscopie électronique, ce rapport parvient à des résultats surprenants : " en ce qui concerne les locaux visités en 1989, il n'existe plus de niveaux de pollution aussi élevés qu'il y a 15 ans. Ceux-ci s'étalent de 0,1 à 39 ng/m3, quand à l'époque ils allaient de 0,1 à 750 ng/m3 " (p. 7). Donc, pour le LEPI, " cette deuxième campagne de prélèvements révèle une baisse quasi-générale de la pollution par l'amiante, au moins en ce qui concerne les 22 locaux étudiés " (p. 9).
On peut à la rigueur comprendre, que " dans tous les locaux ayant reçu des aménagements après les premières mesures, les concentrations totales en fibres d'amiante ont fortement chuté " (p. 7).
Mais le LEPI lui-même s'étonne des résultats trouvés dans les locaux où strictement rien n'a été fait : " l'aspect le plus surprenant des résultats provient des locaux n'ayant reçu aucun aménagement : les teneurs en amiante y sont également très faibles " (p. 7).
Que s'est-il donc passé entre 1975 et 1989 qui permettrait d'expliquer l'étrange baisse spontanée de la pollution par l'amiante ?
Le LEPI ne propose aucune explication, mais plusieurs remarques peuvent faire douter du sérieux de cette étude, ou pour le moins de la non-représentativité de l'échantillon de locaux analysés.
Ainsi, le LEPI, en 1989, ne trouve pas trace d'amphibole, alors que toutes les études précédentes et suivantes en trouvent : " il faut noter que pour l'ensemble des locaux échantillonnés, les fibres d'amiante retrouvées sont essentiellement constituées de chrysotile " (p. 7).
Phénomène aussi surprenant que cette mystérieuse disparition des amphiboles, et que le LEPI ne comprend pas plus : " Il n'y a que le site n°7, où curieusement les fibres d'amphibole dominent, alors qu'en 1975 on ne retrouvait que des fibres de chrysotile " (p. 7).
Devant tant de résultats étranges, Le LEPI lui-même relativise la portée de son étude :" toutefois, seuls 22 sites ont été étudiés en 1989, ce qui constitue un échantillon faible, relativement à l'ensemble du campus. Il conviendrait de vérifier ces données, et de maintenir une surveillance régulière dans l'espace et le temps, compte tenu de l'importance des surfaces floquées à l'amiante et du risque potentiel qui en résulte. En effet, ces résultats ne sont que le reflet de la situation d'un nombre limité de locaux, telle qu'elle était en 1989. Or, il faut tenir compte de l'usure du bâtiment et de ses structures. La dégradation des flocages ne pourra aller qu'en s'accentuant, surtout là où ils sont accessibles (placards, faux-plafonds déplacés dans les tours,...) " (p. 11).
Enfin, les conditions dans lesquelles ont été effectués les prélèvements et que l'on apprend au détour du rapport, peuvent fournir un début d'explication aux curieux phénomènes rencontrés par le LEPI, en l'absence de traitement radical de l'amiante : " les prélèvements d'air n'ont pas toujours pu être menés avec une activité normale à l'intérieur des locaux. Certains d'entre eux sont restés vides, et quelques uns ont même été désertés par leurs occupants en raison du bruit provoqué par les pompes de prélèvement. La remobilisation des particules sédimentées s'en est trouvée de ce fait limitée, ceci pouvant expliquer les faibles concentrations mesurées dans ces locaux " (p. 9).
On sait en effet depuis longtemps, et les rapports précédents l'avaient souligné, que, dans les locaux floqués à l'amiante, les niveaux de pollution dépendent de l'activité.
Dès lors, on ne peut plus accorder beaucoup de crédit aux conclusions que le LEPI se hasarde quand même à tirer de cette étude : " si l'on peut considérer comme faibles, les risques pour les occupants habituels de l'université (administratifs, enseignants, étudiants, ...) étant données les concentrations d'amiante mesurées dans l'air au cours de cette deuxième campagne, il n'en va pas de même pour le personnel de nettoyage ou pour les ouvriers de maintenance " (p. 10).
Si l'on peut admettre cette hiérarchisation des risques, les personnels de maintenance et de nettoyage étant exposés de façon beaucoup plus systématique que les autres occupants du campus, on ne peut que souligner l'imprudence de cette dernière conclusion du LEPI : " Les travaux menés sur les structures floquées ont permis de réduire les fortes teneurs qu'on enregistrait par endroit en 1975. A ces doses, le risque pour la santé est faible pour les résidents, qui ne sont pas censés perturber les flocages. " (p. 11).
Outre le fait que c'est plutôt la pollution par les flocages d'amiante qui "perturbe" les personnels de l'université, le LEPI fait mine d'ignorer ici, ce qu'il avait pourtant noté dans son rapport de 1975, à savoir que la dégradation du flocage est liée notamment au " vieillissement du matériau ", à " l'altération du liant ", à " l'érosion éolienne ", aux " chocs thermiques ou mécaniques " ( Rapport LEPI, 1975, p. 1).
Le LEPI dispense quand même quelques conseils de prudence, qui semblent fortement inspirés par l'attitude préconisée par le Comité Permanent Amiante : " il paraît judicieux à tout le moins, en l'absence d'enlèvement de l'amiante, de suivre dans le temps la pollution de l'air, en multipliant les prélèvements d'air, ceci conformément à l'attitude pragmatique qui prévaut en France vis à vis du problème des bâtiments floqués à l'amiante. Ces nouveaux prélèvements d'air devraient être choisis non plus seulement en fonction des travaux entrepris, mais en tenant compte de l'état de détérioration, de l'adhésion des flocages ou encore de leur accessibilité, de leur contact avec l'air, ou de l'activité environnante [...] Une attention particulière devra notamment être prise lors de toutes interventions techniques sur les matériaux contenant de l'amiante : maintenance, réparation (électricité, plomberie, climatisation, etc...), surtout si celles-ci nécessitent l'ouverture des placards condamnés. Le personnel technique devra en tout état de cause, être prévenu, et les mesures de précaution prises " (p. 11).
Le rapport publié, en 1995,par la SETEC, le BRGM, EUROTEC et FIBRECOUNT, montrera que même ces mesures de sécurité élémentaires, en présence de flocages d'amiante, n'ont pas été prises.
Les auteurs du rapport du LEPI, ayant eux-mêmes souligné les limites de leur étude publieront néanmoins un texte "scientifique" ("Airborne asbestos fibers in a building after remedial actions on sprayed asbestos containing materials", Martinon et al, appl. occupational environmental hygiene, novembre 1994, pages 861-866) qui, décrivant la situation de l'université de Jussieu, note " seulement un site où le flocage était en mauvais état " et invoque plusieurs fois " la fermeture des gaines techniques floquées à l'amiante, la bonne information des occupants, les modifications des procédures de nettoyage ".
La plupart des usagers du campus démentiraient ces affirmations et la lecture du rapport SETEC-BRGM-EUROTEC-FIBRECOUNT, laisse planer quelques doutes sur leur bien-fondé (Cf les sacs d'amiante pur retrouvés dans les placards des couloirs).
En fait le rapport du LEPI et l'article qui en est tiré deviennent plus compréhensibles si l'on sait que Patrick Brochard, directeur du LEPI, et Jean Bignon, co-auteur de l'article, sont des membres du Comité Permanent Amiante, structure créée par les industriels de l'amiante dans le but de promouvoir "l'usage contrôlé de l'amiante". Un des éléments de la stratégie du Comité Permanent Amiante a été de minimiser tous les risques liés à l'utilisation de l'amiante et, en particulier, ceux encourus par les occupants des bâtiments floqués à l'amiante.
En novembre 1994, alors que les premières maladies professionnelles liées à l'amiante se sont déclarées et ont été reconnues, et suite à la pression des usagers du campus, regroupés notamment dans le Comité Anti-Amiante Jussieu, le Ministère de l'Education accepte enfin de financer un rapport exhaustif sur le problème de l'amiante à Jussieu.
Ce rapport paraît en novembre 1995 sous le titre " Traitement des surfaces amiantées du campus de Jussieu, diagnostic et étude de faisabilité".
Le diagnostic des surfaces amiantées a été confiée à trois entreprises spécialisées, BRGM (France), Eurotec (Allemagne) et Fibrecount (Belgique). Cette étude, fondée sur une visite systématique de tous les locaux, a duré quatre mois. Elle repose sur un diagnostic visuel, méthode qui sera imposée dans la législation française, à partir de février 1996.
Le constat fait lors de cette étude est accablant : les flocages sont dans un état de dégradation avancée, ce qui engendre un risque d'exposition important à l'amiante. Ce rapport recommande donc l'enlèvement complet et rapide de l'amiante dans l'ensemble des bâtiments.
L'étude de faisabilité, réalisée par la SETEC préconise d'effectuer les travaux d'enlèvement de l'amiante, par tranches, sur une durée de 3 ans. Après la remise de ce rapport, nul ne peut plus douter du risque important que l'amiante fait courir à tous les occupants de Jussieu.
Première constatation du rapport, " les flocages d'amiante, appliqués lors de la construction des bâtiments sur les poutres et poteaux intérieurs en acier [...] sont toujours présents dans leur quasi totalité " (p. 15).
Comme l'avaient montré les études précédentes (mise à part celle du LEPI en 1989), toutes les variétés d'amiante sont présentes dans les flocages : " la nature de l'amiante et sa teneur dans le flocage varient d'un site à l'autre. Les trois variétés chrysotile, amosite et crocidolite sont identifiées " (p. 9).
Comme on pouvait s'en douter, puisque l'état de dégradation des flocages avait déjà été constaté vingt ans auparavant, la situation s'est aggravée depuis : " dans la plus grande partie des locaux, [les flocages] sont dans un état de dégradation avancée " (p. 15).
Cette dégradation des flocages est due notamment aux travaux indispensables dans toute université, " pose de câbles, réparations de tuyauteries, pose d'objets etc ", mais également à des accidents que l'on ne peut maîtriser, comme " les infiltrations d'eau provenant des étages supérieurs ". Ainsi, " les flocages des poutres [...] sont souvent dégradés aux endroits de fixation des faux-plafonds, des suspentes pour tuyauteries et chemins de câbles " (p. 15).
Témoignant du manque d'information des personnels et de l'absence de mesures de précautions élémentaires prises dans les universités, les experts relèvent que " les cas les plus graves se trouvent dans les "faux-placards" des couloirs d'étages des barres où de l'amiante pur, en sacs ouverts a même été découvert. Dans ces placards, on trouve des flocons et poussières d'amiante répandus sur le sol et des objets divers y sont entreposés (meubles, dossiers, outillages etc). " (p. 15).
Les faux-plafonds, censés offrir une certaine protection contre l'amiante, sont eux-mêmes " souvent dans un état très dégradé : déformations, fentes ouvertes (bacs non jointifs), absence de lames entières " (p. 16). Outre le vieillissement, cette dégradation est également due aux activités indispensables dans une université : " ceci est la conséquence de soulèvements fréquents des lames de faux-plafond lors de travaux (câblages électriques etc.) " (p. 16).
Même les stores des fenêtres sont contaminés par l'amiante (" des frottis effectués sur les rideaux ont été analysés. Des poussières d'amiante ont été trouvées dans ces prélèvements "-p. 16), signe de la diffusion de la pollution sur l'ensemble du campus.
La situation décrite par les experts engendre des risques d'exposition à l'amiante importants pour les usagers du campus.
Les lieux les plus critiques à cet égard, sont les gaines techniques : " Les gaines techniques situées dans le couloir, constituent les lieux les plus critiques pour les risques d'exposition aux fibres d'amiante à l'intérieur d'une section moyenne. Les couloirs sont des lieux de passage importants. Par rapport à la population de passage, les couloirs qui appartiennent aux sections à vocation didactique représentent des risques plus importants que ceux où il n'y a que le personnel administratif et académique " (p. 19).
Les interventions dans les gaines techniques engendrent des pics de pollution. Or les occasions d'intervenir dans ces gaines sont nombreuses ; il y a tout d'abord les travaux d'entretien : " quelle que soit la fonction de la section, les gaines sont soumises à de fréquentes visites techniques que cela soit pour des entretiens électriques, téléphoniques, informatiques, plomberie ou des simples manipulations de robinets " (p. 19).
L'évolution technologique ainsi que les activités de recherche conduisent également à l'ouverture des gaines techniques : " En plus des tirages de câbles informatiques ont été observés à plusieurs reprises. Il a été également observé à plusieurs reprises des ouvertures dans les gaines techniques, laissant passer des conduits d'extraction d'air pour les hottes. Vu le fait que ces ouvertures mettent en contact direct l'air ambiant des locaux et celui des gaines techniques, il est impératif d'obturer ces ouvertures le plus rapidement possible. [...] Certains services [...] ont installé pour les besoins de leurs salles blanches des groupes de climatisation dans les gaines techniques sans que le flocage dans celle-ci soit enrobé " (p. 19).
Enfin, les personnels n'étant pas avertis des risques courus, les gaines techniques servent à des usages très divers : " Dans de nombreuses sections, les gaines techniques servent soit de remises soit d'armoires sommairement aménagées sans qu'aucune mesure de protection vis-à-vis de l'amiante n'ait été prise. Cela représente une source d'émission de fibres considérable " (p.19).
Les experts concluent " Le fait d'ouvrir ces portes met directement l'intervenant en contact avec le flocage et indirectement le personnel occupant la section concernée. Afin de limiter la propagation des fibres, il est indispensable de prendre des précautions adaptées aux circonstances lors de toute intervention à l'intérieur d'une gaine " (p. 19).
Vingt ans après que l'importante pollution engendrée par les interventions dans les gaines techniques ait été mise en exergue (dans le rapport du CERCHAR notamment), ces remarques montrent que la seule évolution notable sur cette période est l'aggravation de la dégradation des flocages.
Les experts ont établi une hiérarchie du risque d'exposition à l'amiante, étage par étage, selon une échelle allant de 1 (représentant un risque important) à 4 (état satisfaisant). Le niveau 4 n'a pas été rencontré à Jussieu. 58% des locaux ont classés en niveau 1, 22% en niveau 2 et 20% en niveau 3 :
Le degré de protection 1 " désigne une section où il a été observé dans les gaines techniques que le flocage est à nu et où la présence du faux-plafond d'origine (type ajouré) est majoritaire. Ce faux-plafond ne présente aucune qualité d'écran vis-à-vis des fibres de dimensions microscopiques. Le risque d'exposition est très important. " (p. 22).
Le degré de protection 2 " désigne une section où il a été observé dans les gaines techniques que le flocage est à nu et où la présence d'un faux-plafond du type écran partiel ou total est majoritaire. Ce type de faux-plafond offre une certaine qualité vis-à-vis des fibres de dimensions microscopiques, mais le risque d'exposition est toujours important " (p. 22).
Le degré de protection 3 " désigne une section où il a été observé un enrobage d'une partie substantielle des flocages. Dans une majorité des cas, cet enrobage concerne uniquement les flocages situés dans les gaines techniques et le reste du couloir . Cette catégorie regroupe les sections qui offrent les meilleures protections contre l'amiante rencontrées sur le site Jussieu. [...] L'exposition aux fibres d'amiante n'est toujours pas à exclure, vu le fait que la source primaire est toujours présente (et que les enrobages peuvent se dégrader). En plus, la présence d'une contamination historique (sous forme de source secondaire pouvant mener à une exposition réelle) est probable " (p. 22).
Le degré de protection 4 " désigne une section où il est observé un traitement durable intégral (enrobage ou enlèvement complets). Cette catégorie n'a pas été rencontrée à Jussieu " (p. 22).
Pour les experts, l'enlèvement de l'amiante ne peut plus être retardé, que ce soit en se fondant sur les seuils d'action en vigueur en France au moment de l'étude, ou sur le diagnostic visuel tel qu'il est pratiqué dans d'autres pays : " la situation à Jussieu apparaît à tout observateur comme devant faire l'objet d'un projet d'assainissement à court terme. Au regard des décisions qui seraient prises immédiatement dans différents pays après inspections visuelles, rien ne justifierait de différer un tel programme. Par référence aux seuils d'action basés en France sur des taux d'empoussièrement, des contrôles multiples sur le site indiquent des pollutions qui réclament des actions correctives dans de brefs délais. Les conditions d'utilisation et les risques liés à l'exploitation des locaux conduisent à la même appréciation d'une exigence de traitement des flocages " (p. 2).
Les experts constatent que ces conclusions auraient pu être tirées bien plus tôt : " l'analyse de la situation en 1983 et des solutions envisageables auraient pu servir de base à un plan d'action pluri-annuel. Le coût des travaux et l'échec de sensibilisation des tutelles n'ont pas permis un traitement global des flocages. Une dégradation générale de la situation à Jussieu en a résulté " (p. 10).
Au lieu de cela, on a laissé les personnels se débrouiller comme ils le pouvaient. Ainsi, quelques travaux de protection ont été faits, sans que cela relève d'un plan d'ensemble : " des traitements ponctuels, parfois sans concertation entre les différents corps de métier et selon un plan d'avancement non optimisé ont cependant été menés " (p. 10). Cela explique que l'on trouve des revêtements " d'une grande diversité " sur certains faux-plafonds : " des crépis, [...] des papiers peints collés, des papiers adhésifs " (p. 16). " [...] des calfeutrements provisoires ont été également exécutés à l'aide de papiers peints, d'adhésifs, de peinture épaisse et même de journaux (bouchage des trous d'aération en façade " (p.17).
Des travaux de protection plus importants ont été réalisés dans quelques endroits de Jussieu, mais leur qualité est médiocre, et ils ne peuvent être considérés que comme une solution provisoire :
Il en est ainsi des travaux "d'enrobage", technique qui " consiste à envelopper la matrice d'amiante dans des bandes de tissu imprégnées de plâtre. [...] cette technique fut employée pour la première fois dans les années 1990. La qualité des premiers enrobages de par leur finition est plutôt faible. [...] La base des poteaux, les intersections et les raccords sont partiellement à nu. [...] La majorité des gaines où les travaux d'enrobage ont été effectués ont un sol jonché de déchets [...] " (p. 17).
De la même façon, les techniques de "fixation/imprégnation" de l'amiante ne présentent pas de garantie de durée : " cette solution présente toujours le risque d'un décollement du revêtement par manque d'adhésion comme on peut le constater au niveau du rez-de-chaussée dans les local BIUS et à certains endroits des circulations autour des rotondes. La fixation alourdit le revêtement " (p. 40).
En outre, l'enlèvement de l'amiante, apparaît comme la seule solution possible, compte-tenu de la pollution du site et des contraintes propres à l'université :
" dans beaucoup d'autres contextes, la présence du flocage et son état seraient suffisants pour déclencher des travaux correctifs et pour imposer d'urgence des mesures conservatoires strictes. A cette action relevant déjà d'actions urgentes s'ajoutent des conditions propres au site qui orientent vers un traitement intégral des flocages : pollution d'ambiance notable, risques d'expositions élevées lors de travaux de maintenance, besoin de dépoussiérage global, difficulté d'appliquer les consignes de prévention et les prescriptions techniques, contraintes permanentes pour tous travaux, dispersion des initiatives et absence de suivi dans le temps.Des solutions d'attente envisageables par exemple pour un immeuble de bureaux de taille réduite seraient difficilement applicables à l'échelle de Jussieu, en dehors du fait que ce site ressort comme un cas prioritaire à traiter parmi les bâtiments publics floqués en France." (p. 36).
Enfin, les experts estiment que la situation actuelle n'a que trop duré, d'autant que depuis la mise en évidence en 1975 du problème de la pollution par l'amiante à Jussieu, des situations moins prioritaires ont été traitées : " des chantiers d'élimination ou de protection de flocages ont été réalisés, des bâtiments publics ont été évacués ou traités, y compris dans des situations moins prioritaires que Jussieu. Par exemple, des diagnostics et des travaux ont parfois porté sur des flocages déjà protégés ou sur des matériaux rigides moins urgents à traiter que des projections friables dégradées, tandis que des décisions pour Jussieu (et pour de nombreux autres bâtiments publics d'enseignement) ont été différées " (p. 1).
La mobilisation du collectif amiante dans les années 70 aboutit à la mise en place d'un protocole de surveillance médicale amiante et parallèlement d'une enquête épidémiologique prospective (sur environ 1500 personnes). Le protocole de départ divisait la population en trois groupes : G1 (personnels d'entretien, maintenance, exposition spécifique), G2 (occupants des bâtiments floqués) et G3 (occupants des bâtiments voisins non floqués). Mise en oeuvre en 1978-79, l'étude dut s'arrêter deux ans et reprit en 1981-83. Le bilan 78-79 (M. Lazar) mettait en évidence des atteintes respiratoires plus importantes dans le groupe G1. Le bilan 81-83 confirme la différence [bien prévisible] entre le groupe G1 et les groupes G2-G3.
Trois textes ont été à ce jour publiés (sans d'ailleurs que la population concernée de Jussieu en soit informée) :
Le premier texte expose cette différence entre le groupe G1 et les deux autres groupes, même s'il insiste sur l'absence de différence entre les groupes G2 et G3 ; il indique aussi tout-à-fait honnêtement que " à cause de la courte période d'observation (15-19 ans), cette étude ne permet pas de conclusion concernant les pathologies pleurales bénignes et les effets cancérogènes à long terme ".
Le second texte, très court il est vrai, ne parle plus du groupe G1 et conclut " La pollution due à la dégradation du flocage amianté ne peut donc être rendue responsable des anomalies observées ". Il ne mentionne pas les cas de maladies professionnelles pourtant déjà répertoriés.
Le troisième texte précise qu'environ la moitié de la cohorte a été perdue de vue, qu'on observe " une prévalence plus élevée d'épaississements pleuraux [...] dans le groupe G1 " et que " nous n'avons pas mis en évidence d'excès significatif d'anomalies radiologiques pleurales [dans le groupe G2] comparativement à un groupe témoin non exposé [le groupe G3] ". La conclusion signale aussi que " Néanmoins, le temps de suivi est court " (à cause de la longue période de latence).
Plusieurs points sont tus ou énoncés sans netteté dans ces textes ou les divers exposés des responsables de l'enquête épidémiologique ; on peut notamment faire remarquer que :
Il semble que le suivi médical et l'étude épidémiologique aient plus servi à rassurer les personnels sur l'innocuité des flocages de Jussieu, qu'à les informer des risques encourus et des cas de maladies dues à l'amiante, déclarées et même reconnues. Ils n'ont été informés que très récemment des cas de maladies professionnelles.
L'article 63 du code pénal précise :
" Quiconque pouvant empêcher par son action immédiate, sans risque pour lui ou pour les tiers, soit un fait qualifié de crime, soit un délit contre l'intégrité corporelle de la personne s'abstient volontairement de le faire. Sera puni des mêmes peines quiconque s'abstient volontairement de porter à une personne en péril l'assistance que sans risque pour lui ni pour les tiers il pouvait lui prêter, soit par son action personnelle soit en provocant un secours "
L'article 223-6 du Nouveau Code Pénal est ainsi rédigé:
"Quiconque pouvant empêcher par son action immédiate, sans risque pour lui ou pour les tiers, soit un fait qualifié de crime, soit un délit contre l'intégrité corporelle de la personne s'abstient volontairement de le faire est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 500 000 Francs d'amende. Sera puni des mêmes peines quiconque s'abstient volontairement de porter à une personne en péril l'assistance que sans risque pour lui ni pour les tiers il pouvait lui prêter, soit par son action personnelle soit en provocant un secours "
L'affaire dite du "sang contaminé" a donné l'exemple de l'application de l'article 63.
Il convient de prendre en compte le contexte historique, scientifique et technique qui a été décrit dans le texte de la présente plainte et qui démontre la connaissance que les responsables avaient du danger que couraient les personnes exposées au risque d'inhalation de poussières d'amiante dans le bâtiment de Jussieu.
En situation de risque, une hypothèse non infirmée doit être tenue pour valide, un danger avéré doit entraîner une action de prévention de la part des responsables. L'attitude des pouvoirs publics, en ce qui concerne la santé des dizaines de milliers d'usagers du campus Jussieu, semble avoir été d'attendre la durée du temps de latence des maladies dues à l'amiante.
L'abstention délictueuse vise le défaut de participation à l'action normative à laquelle il convient d'assimiler l'intervention insuffisante ou inadaptée.
Par ailleurs
L'article 320 du code pénal prévoit :
" S'il est résulté du défaut d'adresse ou de précaution des blessures, coups ou maladies entraînant une incapacité totale de travail personnel pendant plus de trois mois, le coupable sera puni d'un emprisonnement de quinze jours à un an et d'un amende de 500 Francs à 20 000 Francs "
L'article 222-19 du nouveau code pénal précise :
" Le fait de causer à autrui, par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou les règlements une incapacité totale de travail pendant plus de trois mois est puni de deux ans d'emprisonnement et de 200000 Francs d'amende.En cas de manquement délibéré à une obligation de sécurité ou d'imprudence imposée par la loi et les règlements, les peines encourues sont portées à trois ans d'emprisonnement et à 300000 Francs d'amende "
L'article 222-20 du nouveau code pénal ajoute :
" Le fait de causer à autrui, par un manquement délibéré à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou les règlements, une incapacité totale de travail d'une durée inférieure ou égale à trois mois est puni d'un an d'emprisonnement et de 100 000 Francs d'amende. "
La plainte se fonde sur l'imprudence, la négligence et le manquement à plusieurs obligations de sécurité et de prudence imposées par la loi et les règlements.
L'imprudence est une méconnaissance des règles de prudence qui a pour effet la prise de risques ou un défaut de précaution nécessaire malgré l'éventualité prévisible des conséquences dommageables. C'est parce que le dommage est prévisible que le comportement est fautif.
Il faut préciser ce que le Législateur et la jurisprudence entendent par " les règlements " :
Il ne s'agit pas du "règlement" au sens constitutionnel du terme. Le parallèle a d'ailleurs été fait par la doctrine avec la rédaction de l'article 223-1 du nouveau code pénal qui crée le délit de risque causé à autrui. Ce texte vise le règlement et non pas les règlements.
La notion de règlement est donc ici très large. Les Juges du fond y classent traditionnellement les règles professionnelles et déontologiques, les circulaires, les instructions ministérielles. La circulaire générale du Ministère de la justice du 4 Mai 1993 explicitant le nouveau code pénal considère, par exemple, que le règlement intérieur d'une entreprise pourrait être considéré comme un règlement (de sécurité).
En matière d'hygiène et sécurité, la jurisprudence a depuis longtemps assimilé la faute pénale à la faute civile. Les Juges font référence au comportement moyen du "bon père de famille" et, plus simplement, au bon sens.
La jurisprudence met à la charge du Chef d'entreprise ou de ses collaborateurs une obligation générale de sécurité qui leur impose de prendre les mesures que les circonstances commandent.
Cette obligation générale de sécurité est d'ailleurs rappelée par certains articles de portée générale contenus dans le Code du Travail (articles L. 230-2, L. 232-1, L. 233-1).
La jurisprudence a été amenée, à plusieurs reprises, à se prononcer sur des délits de blessures en matière de maladies professionnelles (notamment COUR D'APPEL DE DOUAI, 28 janvier 1982, notes Fenaux et Levasseur).
L'exposé chronologique des faits démontre que des motivations économiques à court terme, jointes à la sous-estimation, voire au mépris d'un problème de santé et sécurité pourtant parfaitement connu depuis 1976 et impliquant des dizaines de milliers de personnes, ont abouti à l'absence de décisions, concernant des mesures d'assainissement et de protection contre l'amiante, à l'intérieur du bâtiment de Jussieu.
Dès lors les infractions sont constituées
C'est pourquoi L'Association Comité Anti Amiante Jussieu et Madame XYZ et Monsieur XYZ déposent plainte contre X et toute personne dont l'instruction révélerait l'implication dans les délits énoncés ci-après :
Ils se constituent partie civile et offrent de consigner entre vos mains la somme qu'il vous plaira de fixer.