Comité Anti-Amiante Jussieu: période Allégre, revue de presse


Libération
Tonino SERAFINI
5 et 6 décembre 1998

Désamiantage d'escargot à Jussieu

Sur 250 000 m2 de locaux universitaires à défloquer, seuls 5000 m2 ont été traités.

«Depuis la prise de fonction de Claude Allègre, pas une seule opération de construction de locaux provisoires n'a été entreprise.»
Le Comité antiamiante de Jussieu

C'était il y a plus d'un an, en octobre 1997. Bernard Dizambourg, président de l'établissement public de Jussieu, annonçait que le désamiantage du campus parisien allait commencer «au printemps&#raquo; c'est-à-dire en mars 1998. Mais au seuil de l'hiver, les travaux sont toujours au point mort. «Actuellement, ils sont en train de confiner une barre pour lancer un chantier pilote. Avant le chantier pilote, nous avons eu droit à un chantier test. Nous attendons toujours que les choses sérieuses commencent, que le chantier trouve un rythme de croisière&#laquo;, lance le président du Comité antiamiante, Michel Parigot. Soupçonné de minimiser les dangers de l'amiante, Claude Allègre est tenu pour responsable de l'enlisement des travaux.

Prévisions rythmiques. Comme pour démontrer sa bonne volonté, le ministère de l'Education nationale a rendu compte hier des «décisions» prises le 1er décembre à Matignon lors d'une réunion interministérielle sur Jussieu. Selon le communiqué, le désamiantage des 40 barres s'effectuera au rythme de «quatre barres tous les six mois». D'ici à 2003, «le coût global» de l'opération a été arrêté à 3,9 milliards de francs. Le ministère annonce surtout «l'implantation de 40 000 m2 sur la ZAC Tolbiac permettant le transfert d'activités de l'université Paris-VII». Cette mesure permettrait de garantir «la continuité du chantier&#raquo;, affirme le communiqué. Mais ces locaux, dont le financement doit être assuré dans le cadre du plan U3M, verront le jour au mieux dans trois ans.

Ces nouvelles annonces sont accueillies avec circonspection par le Comité antiamiante. Car les retard pris sont considérables. Les premiers fonds pour défloquer Jussieu étaient déjà débloqués en décembre 1996, date de signature du «contrat de désamiantage» entre François Bayrou, ministre de l'Education nationale de Juppé, et les présidents des facs concernées: Paris-VI, Paris-VII et l'Institut de physique du globe. Selon le scénario imaginé à l'époque, la décontamination des bâtiments doit se faire tranche par tranche, grâce à la création de 50 000 m2 de locaux provisoires pour reloger les activités le temps de la décontamination. Une sorte de turnover est organisé sur le campus. Dès qu'une tranche est traitée, les activités reviennent dans leur bâtiment d'origine, les locaux provisoires recevant les locataires de la tranche suivante. Maître d'œuvre de l'opération, l'établissement public de Jussieu est chargé de piloter le chantier. Mais les mois et les années courent sans avancée décisive. Le désamiantage du chantier pilote, actuellement en cours, porte en effet sur peu de chose: une surface d'à peine 5000 m2 est traitée, alors que la totalité des locaux amiantés représente 250 000 m2.

Panne de provisoire. Les retards pris semblent liés à l'insuffisance des locaux provisoire. Sur les 50 000 m2 prévus dans le plan de désamiantage, à peine 15 000 m2 sont opérationnels, auxquels vont s'ajouter 15 000 m2 en voie de livraison dans le quartier de Chevaleret. «De la capacité des locaux provisoires dépend l'avancement du chantier», admet Bernard Dizambourg. Mais, pour lui, d'autres problèmes expliquent les lenteurs d'avancement du chantier. Sur le campus, les travaux provoquent «une inévitable dégradation des conditions de travail ou d'enseignement», que certains rechignent à accepter. Au point que des chercheurs ou des enseignants en oublient l'amiante. Du coup, tout déménagement se transforme en casse-tête. Il faut négocier, ménager des susceptibilités, tenir compte de demandes contradictoires. «J'ai peut-être sous-estimé ces problèmes de la vie universitaire&#raquo;, lâche Bernard Dizambourg. La complexité des procédures d'appel d'offres pour l'attribution de marchés aura également contribué à retarder l'opération.

L'optimisme public. Mais le président de l'établissement public se montre plus optimiste pour les mois à venir. Il prévoit de lancer le désamiantage de trois nouvelles barres (15 000 m2) dès l'été prochain, puis embrayer fin 1999 avec quatre autres (20 000 m2). Ce calendrier ne convainc pas le Comité antiamiante, qui reproche au ministre de l'Education nationale de «bloquer dans les faits» le désamiantage. «Depuis la prise de fonction de Claude Allègre, pas une seule opération de construction de locaux provisoires n'a été entreprise.» Outre ces problèmes de locaux, les déclarations passées du ministre tendant à minorer les dangers de l'amiante - notamment à Jussieu - suscitent également la méfiance.

Et, pour compliquer les choses, la discorde règne entre Paris-VI et Paris-VII, les deux principaux locataires de Jussieu. En faisant miroiter au second un déménagement vers la ZAC Tolbiac, les pouvoirs publics ne favorisent pas la mobilisation de cette faculté sur la question de l'amiante. Les deux universités étaient censées construire des locaux provisoires. Paris-VI s'est exécutée. Paris-VII n'a rien construit.


Libération
Paul Quinio
5 et 6 décembre 1998

Le Sénat modère les appétits d'Allègre

L'université du troisième millénaire a du mal à boucler son budget

Une petite douche froide est tombée vendredi matin sous les ors du grand amphithéâtre de la Sorbonne. Alors que s'ouvrait la deuxième journée du colloque sur l'université du troisième millénaire (U3M), le grand chantier d'Allègre pour l'enseignement supérieur, Christian Poncelet, le président du Sénat, a joué les rabat-joie. Intervenant dans le cadre de la table ronde sur «la mobilisation des collectivités locales», il a demandé que l'Etat cesse de «faire la manche». Le successeur de Monory, tout en soulignant que les collectivités coopéreraient loyalement au plan U3M, a indiqué que son financement «ne sera peut-être pas aussi facile» que celui du plan précédent, U 2000. «Je ne suis pas sûr que les collectivités locales pourront apporter un concours aussi important.» Elles ont financé à hauteur de 50 % le plan U 2000, dont l'enveloppe a finalement atteint les 42 milliards. «Nous voulons bien assumer nos responsabilités», a poursuivi Poncelet, à la condition que l'Etat prenne des «engagements précis et définitifs». «Qui fait quoi et comment?» s'est-il interrogé, avant d'appeler à «une rationalisation des clés de financement». La veille, Jean-Pierre Raffarin, président des présidents de région, plus enthousiaste, avait tout de même demandé «à chacun d'être à sa place». «Quand on a des priorités, il ne faut pas oublier de les payer.»

Allègre a tenté de rassurer ses interlocuteurs: «Notre volonté de jouer la déconcentration et l'autonomie est sincère», a-t-il insisté. «Il n'existe pas de plan décidé au ministère. Il faut localement monter des projets raisonnables et ambitieux». «Avant de décider quoi que ce soit, l'Etat nous dit "payez"», avait ironisé Poncelet. Allègre lui a répondu hier: «Il serait inconvenant de la part de l'Etat de décider combien les collectivités vont payer. Nous n'allons pas décider nationalement d'une ponction sur les régions.» Il serait donc «inconvenant» d'estimer le coût du plan U3M.