Comité Anti-Amiante Jussieu: lettre à Lionel Jospin (23/11/98)

Comité Anti-Amiante Jussieu
case 7012, Université Paris 7
2, Place Jussieu 75251 Paris Cedex 05
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Lionel JOSPIN
Premier Ministre
57 rue de Varenne
75007 PARIS

Paris, le 23 novembre 1998

Monsieur le Premier Ministre,

L'affaire de l'amiante est entrée dans une nouvelle phase : tout le monde reconnaît aujourd'hui que ce matériau cancérogène fait courir des risques considérables et que des fautes importantes ont été commises par les industriels et les pouvoirs publics. Il s'agit maintenant d'offrir à celles et à ceux qui sont les victimes des errements passés la juste réparation qui leur est due et surtout de mettre en oeuvre des mesures de prévention strictes pour éviter que l'amiante en place dans les bâtiments ne continue de faire des milliers de victimes dans le futur. Nous avons accueilli avec satisfaction les annonces faites dans le prolongement du rapport Got par les ministres en charge du dossier, M. Aubry et B. Kouchner, qui constituent des avancées importantes tant au plan de la réparation que de la prévention. Comme l'a souligné le rapport Got, ce qu'il faut c'est à la fois compléter le dispositif et s'assurer de sa mise en oeuvre.

Paradoxalement le dossier emblématique en matière de prévention, celui du désamiantage de Jussieu, est bloqué, alors même qu'il est sous la responsabilité directe de l'Etat. Vous aviez à juste titre souligné dans la lettre que vous nous aviez adressée le 22 mai 1997 que " en matière de désamiantage, Jussieu est un test et ce chantier aura valeur d'exploration de ce que nous pouvons réaliser pour le parc amianté et même peut-être pour le parc privé ". Or pas une fibre d'amiante n'a été enlevée de Jussieu depuis un an et demi ! Pourtant, la crédibilité du message de prévention face à l'amiante en place dans les bâtiments dépend étroitement de la manière dont l'Etat traite ce dossier. Comment convaincre les propriétaires privés d'adopter une politique de prévention des risques rigoureuse, dont le coût est loin d'être négligeable, quand l'état ne l'applique pas à son propre parc immobilier ? Comment convaincre les professions du bâtiment de la nécessité d'appliquer des consignes de sécurité contraignantes et souvent pénibles quand l'Etat affiche une telle désinvolture face au risque amiante à Jussieu ?

Vous aviez souligné les limites de la gestion du gouvernement précédent et exprimé votre crainte que "  les annonces mirifiques du chef de l'Etat n'aient pas été préparées, accompagnées, suivies par des mesures concrètes ". Nous pouvions espérer que cette critique de la gestion antérieure, se traduise dans les faits par la mise à disposition de moyens supplémentaires et par une gestion plus rigoureuse. C'est malheureusement le contraire qui s'est passé dans le cas de Jussieu.

Un établissement public chargé de gérer le chantier avait été mis en place. Les options techniques prises à l'époque ont été depuis validées. Mais pour faire les travaux, il faut disposer de suffisamment de locaux provisoires pour reloger les activités de recherche et d'enseignement. Or depuis la prise de fonction de Claude Allègre pas une seule opération de construction de locaux provisoires n'a été entreprise. Dans le contrat de désamiantage, signé par l'Etat en décembre 1996, qui prévoyait de faire les travaux en 3 ans, 25 000 m2 de locaux provisoires devaient être construits. Seuls les 6000 m2 lancés en décembre 1996 par François Bayrou ont été réalisés. Les autres ont été abandonnés.

Ainsi privé des moyens indispensables l'établissement public en est réduit à faire durer. Tous les 6 mois les travaux prévus sont révisés à la baisse et le calendrier allongé. En octobre 1997, il prévoyait encore d'avoir terminé 8 " barres ", c'est à dire 20% des surfaces à traiter, avant l'été 2000. En avril dernier, il ne prévoyait déjà plus que de faire une " barre " d'ici l'été 1999 et trois autres d'ici l'été 2000. Autrement dit 10% des surfaces à traiter. Mais ce programme minimal n'est même plus d'actualité et l'établissement public n'ose plus s'engager sur un nouveau calendrier, même pour ces 10%.

Claude Got écrivait dans son rapport : " Il est possible d'accepter l'allongement des délais prévus par le plan précédent de trois à cinq ans dans une appréciation fondée sur la sécurité. Le gouvernement perdrait toute crédibilité sur ce dossier si les décisions des mois à venir prouvent que ce nouveau délai ne sera pas respecté. "

La preuve a malheureusement été apportée, et même au delà de ce qu'on pouvait imaginer. Non seulement les moyens nécessaires à la poursuite des opérations n'ont pas été mis en oeuvre, mais des obstacles supplémentaires à l'avancée du chantier ont été créés de toute pièce. C'est ainsi que les 2000 étudiants de l'UFR de Psychologie de Paris 7, logés depuis 25 ans à Censier, ont été relogés à compter du 2 novembre, avec l'accord des autorités de tutelle, dans les locaux de Jussieu qui venaient d'être libérés pour être désamiantés !

Cet enlisement programmé du désamiantage de Jussieu, s'accompagne d'un retour en force des intérêts immobiliers. Alors que bruissent de toutes parts des rumeurs de transferts sur la ZAC Tolbiac, nous tenons à réaffirmer solennellement que l'utilisation du problème de santé publique posé par l'amiante pour justifier la construction d'un nouveau pôle universitaire relève au mieux de la tromperie. Il y a certainement de bonnes raisons de construire un pôle universitaire sur la ZAC Tolbiac, et plus encore, comme cela a été souvent évoqué, un pôle de Lettres et Sciences Humaines. Il ne nous appartient pas de prendre parti sur cette question. Mais de telles constructions ne peuvent en rien aider au désamiantage, car elle ne peuvent en aucun cas voir le jour avant 4 ou 5 ans. Des annonces mirifiques en la matière ne pourraient qu'être un rideau de fumée cachant le renvoi aux calendes grecques du désamiantage du campus Jussieu.

Nous ne saurions mieux exprimer notre point de vue à ce sujet qu'en reprenant vos propres phrases, écrites il y a un an et demi:  " Lors de l'annonce des travaux sur ce site, certains ont cru pouvoir saisir l'occasion pour proposer de grands mouvements des infrastructures parisiennes. Dans l'immédiat c'est un problème de santé publique qu'il faut résoudre, de la façon la plus ordonnée possible et la plus rapide ".

Ce dont il s'agit c'est effectivement de résoudre le problème de santé publique rapidement et efficacement. Des solutions simples et de bon sens existent qui permettraient de mener le chantier dans le calme et en respectant les délais annoncés. Nous avons des propositions concrètes à faire et nous souhaiterions pouvoir vous rencontrer pour vous les exposer car, depuis un an et demi, plus aucune concertation n'existe avec les autorités de tutelle, qui ont amplement montré leur incapacité à gérer ce dossier.

Il manque à l'évidence à ce dossier une volonté politique capable de le faire avancer. Vous aviez très justement souligné dans votre lettre que, pour que le chantier se réalise selon un " calendrier raisonnable ", il est nécessaire que " l'établissement public dispose[…] du soutien le plus entier du gouvernement à son plus haut niveau ". C'est précisément ce que nous attendons. C'est pourquoi nous vous demandons, monsieur le Premier Ministre, de prendre en main directement le dossier du désamiantage de Jussieu.

Veuillez agréer, monsieur le Premier Ministre, l'expression de notre haute considération.

Michel Parigot
Président du Comité Anti-Amiante Jussieu