Un plan de désamiantage et de mise en sécurité du
campus a été obtenu il y a un an. Il a fait l'objet d'un
contrat, signé entre le ministère et les
établissements du campus le 4 décembre 1996, qui
prévoit de faire les travaux sur 3 ans en utilisant 41000 m2 de
locaux provisoires. Mais depuis la signature, les
«retards» se sont accumulés. Ils ne sont pas dus
à des problèmes techniques, mais à la mauvaise
volonté de plusieurs acteurs du dossier. Et l'actuel ministre
de l'éducation, Claude Allègre, qui fut le seul en
France à nier l'existence du problème de santé
publique et à se prononcer contre le désamiantage de
Jussieu, s'est empressé de ne pas appliquer ce contrat, qui
constitue pourtant un engagement de l'état.
Face à une volonté délibérée de
saboter le plan de désamiantage, l'argumentation raisonnable ne
suffit plus. C'est pourquoi plusieurs actions judiciaires ont
été lancées depuis la rentrée par le
Comité Anti-Amiante Jussieu:
Voici le point sur ces actions, qui provoquent une grande agitation parmi les responsables.
La plainte pour mise en danger d'autrui.
Le 24 septembre 1997, le Comité Anti-Amiante Jussieu annonçait
le dépôt d'une plainte contre X pour mise en danger d'autrui
concernant l'amiante et la sécurité incendie sur le
campus. La plainte a été déposée
conjointement avec des personnes travaillant sur le site. Le texte de la plainte est accessible par internet
http://www.logique.jussieu.fr/www.amiante/amiante.html.
La mise en danger d'autrui est une disposition du nouveau code
pénal qui permet la prévention. En effet, il n'est pas
nécessaire avec cette disposition que le danger se
réalise sous forme de victimes pour que le délit soit
constitué: c'est la mise en danger elle-même qui constitue le
délit. A Jussieu la mise en danger est patente, tant en ce qui
concerne l'amiante que la sécurité incendie. Bien que le
danger soit de notoriété publique, consigné dans
un grand nombre de rapports depuis plus de 20 ans, les travaux
nécessaires n'ont pas été effectués. Cette
situation justifie amplement le dépôt d'une plainte.
C'est en outre probablement la seule manière de mettre
réellement les responsables face à leur
responsabilité, et de les obliger à réaliser les
travaux rapidement.
De nombreuses personnes ont demandé à s'associer
à titre individuel à cette plainte (et il est toujours
possible de le faire).
Le 7 octobre 1997, 3 membres du Comité Anti-Amiante Jussieu ont
déposé une requête à fin de constat auprès
du Tribunal Administratif de Paris, dans le but de faire constater
d'urgence un certain nombre de manquements graves à la
sécurité en matière d'amiante et d'incendie
sur le campus: gaines techniques ouvertes contenant des flocages
à l'amiante, films plastiques décollés sur les
plafonds laissant échapper de l'amiante, issues de secours
condamnées dans des lieux accueillant de nombreux
étudiants, entassements d'objets inflammables dans des couloirs
ayant une issue condamnée, etc.
Le 20 octobre le tribunal administratif rendait une ordonnance
chargeant un expert de «constater d'urgence
les mesures de protection provisoires qui ont été prises
et celles qui n'ont pas été prises en ce qui concerne,
d'une part, la protection contre l'amiante, d'autre part, la
sécurité incendie». Pour faire son constat,
l'expert a visité le 30 octobre et le 5 novembre une douzaine
de lieux désignés dans la requête. Il remettra son
rapport au tribunal dans les jours qui viennent.
L'affaire fut, à juste titre, prise au sérieux par les
responsables à tous les niveaux, et une grande agitation s'en
suivit. C'est ainsi que la première visite de l'expert s'est
faite en présence d'un véritable comité
d'accueil: le Recteur Vice-Chancelier des Universités de Paris,
le Directeur de l'Etablissement Public du Campus Jussieu, le Directeur
du Service Constructeur de l'Académie de Paris, les
Présidents d'Universités accompagnés de leurs
avocats ... en tout 15 personnes représentant l'État et les
Etablissements du Campus !
L'ordonnance du tribunal administratif communiquée aux
établissements du campus et au ministère mentionnait la
liste précise des lieux à visiter et des faits à
constater qui figuraient dans la requête. La visite de l'expert
n'intervenant que 10 jours plus tard, cela laissait le temps de
modifier quelque peu la situation ... Cette brillante
réflexion n'échappa pas à certains responsables,
et l'on vit s'ouvrir la veille de la visite de l'expert des portes qui
étaient condamnées depuis deux décennies. Michel
Delamar, Président de Paris 7, demanda même lors de la
première visite de l'expert un délai
supplémentaire de 24 à 48 heures pour prévenir
les laboratoires !
La réaction de la présidence de Paris 7.
Considérant que «les
établissements du campus se trouvent aujourd'hui sous le coup
d'une double action judiciaire» et qu'ils sont ainsi
«gravement mis en cause»
(communiqué de la présidence du 5/11/97), le
président de Paris 7 décidait, selon ses propres termes,
de «reprendre l'initiative». Le 5
novembre 1997, il proposait au Conseil d'Administration de
déposer lui-même une requête auprès du Tribunal
Administratif par laquelle «l'université demande qu'une expertise
complète soit menée sur l'ensemble des problèmes
de sécurité du campus». Il faisait en outre
voter à ce même conseil une motion offensive qui exige
notamment que «soient immédiatement
dégagés les moyens de réaliser le contrat
d'objectif, signé par l'Etat et les trois
établissements». On ne peut qu'être
agréablement surpris par cette motion qui va à
l'encontre de toutes ses déclarations antérieures, où il
justifiait sans ambages les retards pris par le
désamiantage.
Le président de Paris 7 justifie sa demande d'expertise par le
fait que les travaux de désamiantage et de mise en
sécurité ne dépendent plus des universités
et que «bien que dessaisies, [elles] sont l'objet de nombreuses mises en cause
de la part de certains personnels ou usagers du
campus». Dans son communiqué de presse du 5
novembre, il précise que «c'est la
construction même du bâtiment qui pose problème»
et qu'«une remise en sécurité
complète ne peut s'envisager que dans le cadre du grand
chantier».
En somme, la requête de Paris 7 viserait à renvoyer la
responsabilité au niveau du ministère, ce dont nous ne
pourrions que nous féliciter. Malheureusement elle
relève plus de la gesticulation que de l'action.
Rédigée dans la précipitation, cette requête est
d'une totale confusion. L'expertise demandée, censée
être «opposable aux parties», ne
porte pas seulement sur l'état du campus en matière de
sécurité, ce qui aurait un sens, mais aussi sur
l'organisation du chantier et même l'organisation des
universités pendant le chantier! Va-t-on demander à un
expert désigné par le tribunal de trancher des questions
qui relèvent de la politique universitaire ? Comment cette
expertise s'articulera-t-elle avec les études en cours portant
sur ces mêmes questions d'organisation (maître d'oeuvre, programmiste)
qui coûtent plusieurs millions de francs ? Le conseil
d'administration de Paris 7 a-t-il été
complètement informé des conséquences possibles
de cette action, notamment en terme de coût ?
Michel Delamar explique le sens véritable de sa contre attaque
précipitée au journal Le Monde: « Il nous fallait reprendre l'initiative et afficher
clairement que les conditions de sécurité sur le campus
demeurent une préoccupation prioritaire des chefs
d'établissements». Justification pas très
heureuse. Le rôle d'un président d'université
n'est pas de montrer qu'il se préoccupe de
sécurité mais de s'en occuper. Et de ce point de vue il
reste des progrès à faire !
Les responsabilités des présidents.
Il nous faut revenir un instant sur l'enjeu de ce que le journal le Monde appelle «le bras de fer entre le Comité Anti-Amiante et les responsables du campus». Les présidents d'université ont sur ce dossier une double responsabilité:
Nous sommes bien évidemment d'accord avec le président
de Paris 7 pour dire qu'«une remise en
sécurité complète ne peut s'envisager que dans le
cadre du grand chantier», et c'est
précisément pour cette raison que nous insistons pour
que le plan de désamiantage qui a fait l'objet d'un contrat
soit réalisé dans les plus brefs délais. Mais
cela ne dispense en aucun cas les responsables de se soucier des
mesures d'urgence à mettre en oeuvre pour assurer la
sécurité en attendant que les travaux soient
réalisés. Ces mesures d'urgence sont d'autant plus
indispensables que «la construction même du
bâtiment pose problème». Cela vaut aussi bien pour
les gaines techniques ouvertes que pour les issues de secours
condamnées.
Si les chefs d'établissement estiment qu'ils n'ont pas les
moyens de faire appliquer les mesures d'urgence nécessaires,
qu'ils le disent clairement et en tirent les conséquences. Mais
qu'ils cessent de prétendre que la sécurité est
assurée pour justifier une remise aux calendes grecques du
désamiantage. Petit florilège en ce sens:
«On entend dire aujourd'hui que le retard est criminel car il va provoquer de nouvelle victimes. C'est faux. [...] Nous sommes provisoirement protégés, sous réserve qu'aucun incendie ou inondation ne vienne compromettre le dispositif» (Michel Delamar, Communiqué de Presse, 18 avril 1997)
«Je tiens en tous cas à rassurer les personnels et usagers : le petit retard du grand chantier n'est pas une catastrophe et ne constitue pas actuellement un risque supplémentaire pour la santé» (Michel Delamar, Univers 7, mai 1997)
«Les risques liés à la présence d'amiante sont aujourd'hui stabilisés. [...] La situation sanitaire fait l'objet d'une surveillance permanente» (Bernard Dizambourg, Document remis lors de la conférence de presse du 9 octobre 1997)
Chacun sait sur le campus ce qu'il faut penser de ces déclarations. Pour ce qui est de contraindre le ministère à mettre en oeuvre le plan de désamiantage, les présidents d'université n'ont clairement pas fait tout ce qu'ils pouvaient faire. Le président de Paris 6 observe une prudente neutralité. Quant au président de Paris 7, obnubilé par son projet de déménagement sur la ZAC Tolbiac, il s'est évertué depuis son élection à combattre le comité anti-amiante, plutôt que l'amiante.
Justice: un passage obligé ?
La justice est-elle un passage obligé pour régler le
dossier Jussieu ? Ce qui vient de se passer invite à le
penser.
La simple visite d'un expert désigné par le Tribunal
Administratif pour dresser un constat d'urgence a permis de faire
ouvrir en quelques jours des issues de secours condamnées qui
avaient résisté pendant deux décennies aux
demandes des Comités Hygiène et Sécurité,
aux rapports de la commission de sécurité de la
préfecture de police et aux recommandations des experts !
Nous ne pouvons que regretter de devoir recourir à la justice
pour obtenir des travaux dont la nécessité et l'urgence
sont évidentes. Depuis 3 ans nous avons cherché à
convaincre plutôt qu'à contraindre. Au plan national la
force de l'argumentation a été suffisante pour obtenir
la mise en place d'une politique de prévention face au
problème de santé publique posé par l'amiante. A
Jussieu, les intérêts particuliers des uns et
l'irresponsabilité des autres bloquent de fait toutes les
solutions raisonnables.
Mais les responsables qui sapent le plan de désamiantage et s'opposent à la concertation ne doivent se faire aucune illusion. Dès lors que le désamiantage ne se fait pas de manière consensuelle, il se fera de manière conflictuelle, et ils risquent fort d'être les premiers perdants.