Comité Anti-Amiante Jussieu: tract (15/09/95)

INTERÊTS ÉCONOMIQUES versus POLITIQUE DE SANTÉ PUBLIQUE

15 septembre 1995

Vous participez à un colloque sur le mésothéliome -- cancer spécifique de l'exposition à l'amiante. En tant que médecins et chercheurs, vous n'êtes peut-être pas familiers avec ce qui relève de la politique de santé publique en France, en relation avec l'amiante. Depuis plus de dix ans, le rôle central est joué par un groupe appelé «Comité Permanent Amiante» (CPA) qui défend la continuation de l'usage controlé de l'amiante en France. La légitimité scientifique du CPA est apportée par deux pneumologues, les professeurs Jean Bignon et Patrick Brochard, ils en sont même souvent les porte-parole.

Présentons les points les plus importants de la situation en France:

-- Jusqu'à récemment les pouvoirs publics ont laissé leur responsabilité, concernant l'amiante, au «Comité Permanent Amiante» (CPA). Jusqu'à aujourd'hui n'importe qui concerné par l'amiante et contactant le Ministère de la Santé ou du Travail finissait invariablement par se retrouver en contact avec un membre de ce groupe privé. Dans leurs publications, les membres du CPA se présentent comme «... un groupe informel ... composé de personnes de bonne volonté» dont le but est de régler les préoccupations de santé liées à l'amiante. Les faits ne confirment pas cette présentation.

-- Le CPA est loin d'être « un groupe informel »: il est géré par une agence de communication, «Communications Economiques et Sociales» (CES)[+] qui reçoit des fonds de l'Association Française de l'Amiante (AFA), c'est-à-dire des principaux industriels de l'amiante (Eternit-Belgique et Saint-Gobain). Le fait que la liste des membres contienne des représentants de ministères et de syndicats donne une idée du remarquable succès de cette entreprise de lobbying.

-- Le but et la véritable nature du CPA deviennent plus transparents quand on lit sa prose destinée à l'industrie[+]: « L'amiante est dangereux pour la santé; il doit être utilisé correctement. Ceci ne doit cependant pas nous effrayer car dans notre vie, nous sommes chaque jour au contact de matériaux ou d'éléments dangereux, mais ceci doit nous inciter à être très vigilants. Selon qu'ils sont bien ou mal utilisés, ces matériaux et ces éléments peuvent être relativement sûrs et utiles, ou au contraire dangereux et inadaptés. Ne pensez-vous pas que l'eau, le feu, l'électricité, les automobiles, les machines ... peuvent être selon qu'on les maîtrise ou non les choses les meilleures ou les plus dangereuses? Rappelons que nous avons appris à manipuler en sécurité les explosifs et les maériaux radioactifs .»

-- Pour éviter l'interdiction de l'amiante en France, le CPA a aussi été impliqué dans des actions internationales. Il est bien connu que, en 1991, plusieurs pays ont proposé une directive de la CEE arrêtant l'usage de l'amiante; dans une de leurs publications, les membres du CPA se vantent d'avoir stoppé cette proposition. Ils invoquent l'argument spécieux suivant: « Le projet d'interdiction [de l'amiante] est dangereux pour la santé des travailleurs en ce qu'il ne règle en rien les séquelles du passé et risque d'entraîner un abandon des dispositifs de protection pendant la période intermédiaire»

-- Le résultat est sans appel. La France est aujourd'hui le plus gros consommateur d'amiante en Europe de l'ouest: 35000 tonnes d'amiante on été importées en 1994. Alors que plusieurs pays dont l'Allemagne et la Suisse ont interdit l'utilisation de l'amiante et développé un programme cohérent de traitement de l'amiante «en place» (notamment les bâtiments floqués), les autorités françaises ont été remarquablement inactives sur ce point. Cela est dû, en bonne part, à l'influence des industriels de l'amiante via le CPA et ses experts.

-- Puisque cette conférence est sur le mésothéliome, vous serez intéressés d'apprendre que dans toutes les publications du CPA destinées au public, il y a, en tout et pour tout, un seul chiffre de statistique epidémiologique qui est donné, c'est le suivant: «Le mésothéliome est un cancer rare, moins de 200 cas par an en France». Ceci a été écrit en 1994 (dans une brochure intitulée « L'amiante et la santé, ce que faut savoir et faire savoir»!) alors que les données disponibles de l'INSERM donnait le chiffre de 845 décès par mésothéliome de la plèvre et donc un chiffre plus exact (tenant compte des mésothéliomes péritonéaux) aurait été autour de 1000 morts.

Nous pensons que les problèmes de santé publique ne peuvent pas être gérés sur la base de stratégie économique. Malheureusement personne ne sait comment soigner le mésothéliome et les vagues espoirs ne donneront pas de résultats avant de nombreuses années. C'est donc sur l'élimination de l'exposition à l'amiante qu'une politique de santé publique doit être fondée. Nous pensons que tous les médecins et chercheurs devraient partager ce point de vue.

Pourquoi des pneumologues participeraient-ils au combat des industriels contre une proposition d'interdiction de l'amiante? En tant que citoyens, ils ont le droit de défendre tout intérêt légal, même une industrie utilisant et commercialisant amplement un produit cancérogène, mais en tant que médecins, en tant qu' experts scientifiques, peut-on considérer cela éthique?

Nous demandons à tous les participants de cette conférence de proclamer que les médecins placent les préoccupations de santé publique au dessus des intérêts économiques.

Comité Anti-Amiante Jussieu[+]
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...(CES)
Parmi les clients de cette même agence on peut remarquer l'association des industriels du cadmium, des industriels du plomb ...
...l'industrie
Vous pouvez vous procurer ces publications en écrivant au CPA: Communications Economiques et Sociales, 10 Avenue de Messine, 75008 PARIS.
...Jussieu
Nous sommes une association de personnel travaillant dans l'université de Jussieu -- le plus grand bâtiment floqué à l'amiante en France -- et sommes donc très concernés par la politique de santé publique concernant l'amiante