Lors de sa visite à Paris, le Premier Ministre du Canada, Jean Chrétien défendra une nouvelle fois la politique d'usage contrôlé de l'amiante.
Le Canada, premier pays exportateur d'amiante, fait en effet actuellement une intense campagne de lobbying pour convaincre les autres pays du monde de continuer à utiliser ce matériau cancérigène – que lui-même utilise fort peu – en adoptant une politique dite d'usage contrôlé ou sécuritaire de l'amiante. Cette campagne s'adresse indirectement aux pays en voie de développement qui sont les principaux clients du Canada, les pays industrialisés ayant tous cessé ou considérablement réduit leur utilisation de l'amiante.
La politique d'usage contrôlé de l'amiante est une tromperie qui se traduira inévitablement par un nombre considérable de victimes. L'usage contrôlé est applicable dans le secteur de l'exploitation et de la transformation de l'amiante, il ne l'est pas dans celui de l'utilisation. Comment peut-on en effet prétendre contrôler l'usage d'un produit cancérigène dès lors que celui-ci est largement répandu dans le public?
Les études menées dans les pays industrialisés montrent que l'immense majorité des victimes de l'amiante proviennent du secteur de l'utilisation, qui est précisément celui où l'usage contrôlé est impossible. Il n'est donc pas possible de se voiler la face plus longtemps: tant que l'amiante sera utilisé, il fera des victimes par milliers.
Le Comité Anti-Amiante Jussieu a adressé ce jour une lettre ouverte à Jean Chrétien pour lui demander de prendre la décision qui s'impose: cesser d'exporter de l'amiante, matériau cancérigène dont plus rien ne justifie l'emploi.
Comité Anti-Amiante Jussieu
[...]
Lettre ouverte à
Jean Chrétien
Premier Ministre du Canada
Paris le 22 janvier 1997
Monsieur le Premier Ministre,
L'amiante pose un problème de santé publique à tous les pays industrialisés qui ont dans le passé utilisé ce matériau cancérigène. Les uns après les autres, ils en arrivent à interdire l'usage de l'amiante et sont contraints de mettre en place une coûteuse politique de décontamination des bâtiments, seule solution qui permette de diminuer, dans les décennies à venir, le nombre impressionnant des victimes.
Le Canada, premier pays exportateur d'amiante, s'insurge contre cette politique de santé publique qui va à l'encontre de ses intérêts commerciaux. Il fait un intense travail de lobbying pour convaincre les autres pays du monde de continuer à utiliser l'amiante en adoptant une politique dite d'usage contrôlé ou sécuritaire.
La politique d'usage contrôlé de l'amiante est une tromperie qui se traduira inévitablement par un nombre considérable de victimes. Comment peut-on en effet prétendre contrôler l'usage d'un produit cancérigène dès lors que celui-ci est largement répandu dans le public? L'usage contrôlé ne prend sens que dans des circonstances bien définies, comme l'enceinte d'une entreprise, où l'on peut appliquer des mesures de sécurité extrêmement strictes.
On peut imaginer un usage contrôlé dans l'industrie d'extraction et de transformation de l'amiante, même si l'expérience à montré qu'entre ce que prétendent les industriels et ce qu'ils font, il y a souvent, en cette matière, une grande distance. Mais les études menées dans les pays industrialisés montrent que le secteur de la transformation fournit moins de 5% des victimes de l'amiante. L'immense majorité des victimes sont des utilisateurs: le secteur du bâtiment fournit à lui seul environ 25% des victimes. Il s'agit souvent de personnes ayant subi seulement des expositions sporadiques: l'exemple typique, c'est l'électricien passant un câble dans une gaine ou un faux-plafond contenant de l'amiante. D'une façon générale c'est l'amiante en place dans les bâtiments qui représente la majeure partie du risque: sont concernées toutes les personnes qui effectuent des travaux de rénovation, de maintenance ou d'entretien, de l'ouvrier du bâtiment au bricoleur du dimanche qui manipule des produits en amiante-ciment.
L'expérience montre clairement qu'il n'est pas possible de mettre en place un usage contrôlé et sécuritaire de l'amiante dans le secteur de l'utilisation, qui concerne en fait l'ensemble de la population. Comment par exemple empêcher les gens d'intervenir sans protection sur des matériaux installés plusieurs décennies auparavant et dont ils ne savent pas qu'ils contiennent de l'amiante. Comment empêcher un particulier de reculer devant le coût d'une intervention respectant les mesures de sécurité qui est bien plus élevé que celui d'une intervention ne les respectant pas. Si l'on ajoutait au coût des matériaux à base d'amiante, celui des mesures de protections qu'il faudra prendre pour les entretenir ou les retirer, ils deviendraient prohibitifs.
Il est inutile de se voiler la face, tant que l'amiante sera utilisé, il fera des victimes par milliers parmi les utilisateurs.
Si l'on met en rapport données de mortalité et d'importation d'amiante dans les pays industrialisés, on s'apperçoit, en tenant compte des temps de latence des cancers de l'amiante, qu'on enregistre environ un décès pour 50 tonnes d'amiante importé. Cela signifie que l'exportation annuelle d'amiante du Canada (i.e. 500 000 tonnes) correspond à un potentiel de plus de 10 000 décès dans le reste du monde pour les décennies à venir! Ce chiffre est à mettre en relation avec les 2500 emplois qu'occupe l'exploitation de l'amiante au Canada: une personne employée dans l'exploitation de l'amiante au Canada pendant 40 ans correspond à un potentiel de 160 décès dans le reste du monde ...
Pensez-vous qu'un pays développé comme le Canada puisse longtemps défendre aux yeux de l'opinion internationale une politique qui comporte un tel risque pour le reste du monde, sur la base d'intérêts purement commerciaux?
Les industriels de l'amiante ne manqueront pas d'objecter que les chiffres de mortalité correspondent à des situations passées où les expositions étaient plus importantes. Cet argument, dont ils abusent depuis des décennies pour repousser l'échéance, n'est pas plus pertinent maintenant qu'il ne l'était jadis, car il ne vaut que pour un secteur extrêmement limité. Tout montre au contraire que pour la majorité des personnes exposées – qui se situent dans le secteur de l'utilisation – la situation n'est pas significativement différente de ce qu'elle était dans le passé. Cela vaut pour le secteur du bâtiment, et plus encore bien sûr dans les pays en voie de développement. C'est pourtant vers ces derniers que le Canada exporte la plus grande partie de son amiante en sachant pertinemment que les mesures de sécurité minimale n'y sont pas appliquées.
La brutalité des chiffres ne permet aucune esquive: quand bien même on parviendrait par un usage mieux contrôlé à réduire les risques d'un facteur 2 ou 3, l'évidence du scandale n'en serait pas moins grande.
Il est grand temps pour le Canada de regarder la situation en face et de prendre la seule décision digne: cesser d'exporter de l'amiante, matériau cancérigène dont plus rien ne justifie l'emploi.
Veuillez agréer, Monsieur le Premier Ministre, l'expression de notre haute considération.
Michel Parigot
Président du Comité Anti Amiante Jussieu